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Multiplication des diffuseurs, la confiscation du football ?

Dimanche – Edward Hopper

Le 21 août dernier, sur les coups de 19 heures, la Ligue 1 est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. En diffusant le match opposant les Girondins de Bordeaux au Football Club de Nantes, premier match de la saison 2020-2021 – en remplacement de l’un des classiques du championnat, OM-Saint-Etienne, reporté pour cause de multiples cas de coronavirus dans l’effectif marseillais – Mediapro a fait son entrée en tant que diffuseur dans notre pays. Par le biais de sa chaine Telefoot, l’entreprise espagnole diffusera pour les prochaines saisons la grande majorité de la Ligue 1. Son arrivée sur ce marché a permis à la LFP de battre son record de droits TV, dépassant désormais le milliard d’euros par saison.


L’arrivée d’un nouvel acteur sur le marché de la diffusion du football va certes permettre à la Ligue et donc par ricochets aux clubs de toucher un plus gros pactole mais a également pour conséquence d’exploser un peu plus la diffusion des matchs dans notre pays. Alors que RMC Sports avait fait son apparition il y a quelques années et que BeIN et Canal + demeurent présents, voilà qu’un quatrième acteur majeur s’ajoute à ce marché (pour être totalement complet Eurosport diffuse une bonne partie de la Coupe de France et TF1 ainsi que le groupe M6 certains matchs de l’équipe de France ainsi que du football féminin). Cette profusion d’acteurs couplé à l’incapacité, pour le moment, de Mediapro à avoir trouvé un accord de distribution avec le groupe Canal soulève avec plus de vigueur encore la problématique de l’accessibilité du football pour tous dans notre pays.

Éclatement de l’offre versus prix élevés

En parvenant à trouver un accord de co-diffusion des compétitions européennes (Ligue des Champions et Ligue Europa) avec RMC Sports, Telefoot a permis de rendre un peu plus intéressante son offre. Avant cela, le nouvel opérateur ne disposait en effet que des championnats français et entendait, par la voix du dirigeant de Mediapro Jaume Roures, proposer un abonnement à 25€ pour ces seules compétitions. La stratégie a quelque peu évolué depuis puisque Telefoot propose également un abonnement comprenant seulement les championnats français sur mobiles et tablettes à 15€ mensuels en plus de celui incluant les compétitions européennes à 25€ (avec un engagement de 12 mois) ou 29€ (sans engagement). Enfin, une offre couplée avec Netflix est également proposée pour 29€ et un engagement de 12 mois.

Malgré ces efforts, Telefoot ne proposera pas 100% de la Ligue 1 puisque deux matchs par week-end demeurent la propriété du groupe Canal. Bien évidemment, les principaux championnats étrangers restent diffusés par les acteurs déjà présents avant l’arrivée de Mediapro sur le marché : la Premier League par le groupe Canal et RMC Sports ; la Bundesliga, la Liga et la Serie A sur BeIN. Dans un secteur économique classique, cette profusion d’acteurs devrait contribuer à tirer les prix vers le bas en vertu des principes de la concurrence. Lorsque plusieurs magasins d’ameublement proposent des produits certes différents mais similaires la question du prix desdits produits entre assez fortement en ligne de compte pour le consommateur classique. Dans le cas du football, la chose est assez différente dans la mesure où ce qui est payé par le consommateur n’est pas un élément neutre mais lié le plus souvent à ses passions. Aussi les différents diffuseurs peuvent-ils se permettre de ne pas entrer dans une guerre de prix, exception faite des co-diffusions qui demeurent toutefois rares.

L’exclusion des plus précaires

Cette particularité propre au marché de la diffusion du football a pour effet de faire perdurer des prix d’abonnements relativement élevés en dépit de la multiplication de l’offre. À l’exception notable de BeIN – dont l’abonnement reste peu onéreux au vu de la quantité de championnats proposés, ceci s’expliquant par le fait que la chaîne est un outil de soft power ne recherchant aucune rentabilité – les montants des abonnements peuvent rapidement constituer un poste de dépense important pour une personne ou un ménage. Pour la saison 2020-2021, avoir accès via abonnement à l’ensemble des grandes compétitions (les principaux championnats, les coupes d’Europe et la coupe de France) coûtera environ 70€ par mois soit 840€ sur une année complète. Pour une personne rémunérée au SMIC, cela représente plus qu’une moitié de salaire mensuel.

Plus symptomatique encore, en raison du fractionnement des diffuseurs pour la Ligue 1, avoir accès aux compétitions françaises (championnats et coupe de France) ainsi qu’aux deux coupes d’Europe coûtera 55€ mensuels (et 50€ sans les coupes d’Europe). Nous nous retrouvons donc dans une situation où l’accès au championnat domestique est le plus onéreux. La beauté et la grandeur du football, ce qui en fait le sport roi, est sans conteste sa faculté à rassembler les foules. Comme le dit poétiquement Marcelo Bielsa, les supporters sont la seule chose irremplaçable dans le football. L’accessibilité de celui-ci au plus grand nombre est donc non seulement une question de bon sens mais avant tout une manière de faire société. Dans une saison où les jauges des stades risquent fort de ne pas dépasser 5000 places, cette accessibilité est d’autant plus importante.

Bistrot – Edward Hopper

La recherche de solutions alternatives

Comme exprimé plus haut, le football est rarement l’objet d’un suivi rationnel de la part de celles et ceux qui regardent des matchs à longueur de saisons. Dès lors, ce caractère passionnel et pulsionnel qui entoure la relation au football ne saurait tolérer de n’avoir pas accès aux matchs. Les personnes exclues du marché classique de la diffusion des matchs ou celles qui refusent de cautionner le fractionnement toujours plus fou de l’offre cherchent, sans surprise, à contourner ces problématiques pour pouvoir visionner les matchs. Cette difficulté d’accessibilité ne peut que pousser un nombre croissant de suiveurs du football dans les bras de solutions illégales et parfois nébuleuses quant à l’utilisation qui est fait des fonds récupérés.

Depuis bien longtemps, le streaming est utilisé pour pallier les problèmes d’accès aux matchs mais depuis quelques années de nouvelles pratiques ont vu le jour avec le lancement de l’IPTV. Par le biais d’un boitier ou directement sur sa télé pour les plus récentes versions, cette technologie permet de pirater les chaines normalement payantes et de faire baisser le prix payé pour suivre le foot. En permettant de payer l’équivalent d’un mois d’abonnement pour avoir une année de programmes, l’IPTV est une solution qui semble être de plus en plus plébiscitée par les suiveurs de football, d’autant plus que la qualité d’image est bien souvent au rendez-vous. Les différentes ligues semblent avoir saisi le danger que représentaient ces nouvelles pratiques pour elles et depuis quelques temps communiquent à ce propos. Mais quelle crédibilité accorder à ces instances qui participe de facto à l’émergence de ces pratiques ? Le pyromane ne saurait dénoncer de manière pertinente les dégâts de l’incendie. Les nouveaux diffuseurs peuvent également être menacés par une nouvelle manière de regarder le football. En France par exemple, Free a fait l’acquisition (pour quelques dizaines de millions d’€ seulement) d’un lot lui permettant de diffuser 30 minutes d’actions par match en quasi-direct et a inclus cette option dans sa box. Pour contourner Telefoot et Canal +, certains se laisseront peut-être tenter par cette nouvelle manière de regarder un match de football.

Forts droits TV et abonnements pas chers, l’insoluble contradiction

Il serait cependant facile et pas très honnête d’incriminer uniquement diffuseurs et instances. Une bonne partie des suiveurs du football et des supporters entretiennent cette dynamique. La volonté de forts droits TV pour permettre à son club d’obtenir des revenus lui permettant d’investir sur le marché des transferts est quelque chose d’assez partagé. Ce à quoi nous assistons en ce moment n’est finalement qu’une étape de plus dans la fuite en avant que connait le foot business depuis des décennies. Aussi longtemps que la majeure partie des suiveurs du football accepteront ces règles du jeu sans chercher à les remettre en cause, il n’y a aucune raison que les choses changent.

La France n’est pas encore arrivée dans la situation de la Grande-Bretagne où selon une étude de la BBC portant sur la saison 2016-2017 (il y a donc déjà quatre saisons, on peut raisonnablement penser que la dynamique s’est amplifiée depuis) a montré que la moitié des clubs de PL pouvaient réaliser des profits même s’ils jouaient dans un stade vide et que les recettes de billetterie ne représentent que la cinquième source de revenus, ce qui est là, me semble-t-il, un basculement fondamental. Pour autant, l’augmentation des droits TV si elle devait continuer à l’avenir arriverait sans guère de doute aux mêmes effets. La tenaille serait alors définitivement en place et l’engrenage serait alors certainement impossible à freiner. La question de l’accessibilité du football comme on le voit, est situé à la croisée de bien des débats fondamentaux sur la manière d’appréhender le football dans les années et décennies qui viennent.

Fusion, la fausse bonne solution

Face à ce fractionnement de l’offre de diffusion et sa conséquence première qui est l’augmentation du budget nécessaire pour pouvoir suivre tout le football européen, une solution simple pourrait être de prôner la fusion des diffuseurs afin de ne plus avoir à s’abonner à trois, quatre ou cinq chaines pour pouvoir suivre les compétitions. Si cette idée peut paraître alléchante, elle n’est pourtant pas exempte de dangers. Agir de la sorte reviendrait à offrir une situation monopolistique à ce nouveau mastodonte de la diffusion footballistique. Bien que le foot ne soit pas un secteur économique classique, la présence d’un tel monopole a toutes les chances de déboucher sur des prix au moins aussi élevés sinon plus dans la mesure où ce nouvel acteur sera le seul présent sur le marché et pourra très certainement faire pression sur les instances pour lutter de manière plus acharnée contre les diffusions pirates.


Cette situation monopolistique serait également une aubaine pour le diffuseur dans la négociation des droits TV avec les différentes ligues. Si un seul acteur est candidat, les ligues ne pourront plus faire jouer la concurrence et les droits TV seront tendanciellement à la baisse. Une sortie de la fuite en avant ne serait pas nécessairement une mauvaise chose mais à la condition que celle-ci soit préparée pour éviter un choc brutal pour l’économie du football (qui, il est important de le rappeler, ne se résume pas à la minorité des superstars comme le montrent avec brio les amis de Dialectik football). L’on pourrait imaginer des solutions alternatives à la situation actuelle : une offre commune permettant de sélectionner quelles compétitions on souhaite voir, un acteur effectivement monopolistique mais public, une transition vers des droits TV moins élevés et donc des abonnements plus accessibles financièrement et bien d’autres options encore. Il n’y a jamais qu’un seul chemin possible.

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