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Lilian Compan : « Antonetti, Courbis et Lacombe inspirent l’entraîneur que je suis devenu »

Sur les bords de la Méditerranée, dans un cadre idyllique, Lilian Compan, ancien attaquant prolifique des années 2000 avec plus de cent buts en pro, fait ses gammes d’entraîneur en N2, sur le banc du Hyères FC. Le Cav’ est allé à la rencontre d’un homme entier et lucide sur sa carrière de joueur comme son potentiel de coach. Une franchise qui n’a pour égal que la détermination de celui qui cumule les casquettes et poursuit sa progression au sein du club varois. Une ambition animée par une volonté ferme d’être un entraîneur avec une personnalité propre.


Vous commencez à l’AS Cannes, un club réputé formateur. Quel impact cela peut-il avoir sur l’état d’esprit comme les ambitions d’un jeune joueur tel que vous l’étiez ?

Quand j’étais à Cannes, nous avions des formateurs de grande qualité, comme Guy Lacombe et Michel Troin. Aujourd’hui, je me rends compte qu’ils nous ont aussi bien appris nos métiers de footballeur que d’entraîneur. J’ai eu la chance d’évoluer dans un club qui faisait confiance aux jeunes. Quand on commence et qu’on peut donc se projeter sur la Ligue 1 (Division 1 à l’époque, ndlr), c’est une chance. On jouait chaque saison le maintien sans certitude d’y parvenir, en étant constamment dans le dur. Cela m’a forgé et permis de développer des valeurs de travail comme d’abnégation pour progresser rapidement.

En 1995, c’est sous la houlette d’un entraîneur réputé formateur, Guy Lacombe, que Compan est sacré champion de France des -17 ans avec l’AS Cannes, aux côtés notamment d’un certain Patrick Vieira. © AS Cannes

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Justement, vous progressez vite au point d’intégrer les équipes de France de jeunes et de jouer la Coupe du Monde 1997 avec les moins de 20 ans. Alors que vous jouez notamment avec Thierry Henry ou David Trézéguet, quel conseil donnerait le Compan entraîneur au jeune Compan joueur aujourd’hui ?

Avec du recul, je pense sincèrement que j’étais au maximum de mes possibilités. Dire que je pouvais faire mieux, ce n’est pas sûr. Selon moi, j’avais une classe nationale, pas cette classe internationale des Henry ou Trézéguet. Je me conseillerais néanmoins de travailler encore plus pour gommer plus vite mes défauts. Mon profil de joueur était bien plus celui d’un bon attaquant régulier dans ses performances que doté de grandes qualités dans un ou plusieurs domaines spécifiques. Et quand il n’y a pas de qualité forte, il faut trouver un moyen de les gommer. Or j’étais trop jeune pour le faire seul. C’est venu plus tard.

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Répéré par Guy Roux, vous signez ensuite à l’AJ Auxerre afin de passer un palier, voire concurrencer Stéphane Guivarc’h.

C’est l’erreur de ma carrière, ce qui n’élève en rien le respect que j’ai pour Guy Roux bien sûr. J’étais international français, je jouais depuis mes 17 ans en Ligue 1 et je devais alors essayer de concurrencer Guivarc’h qui était tout simplement intouchable, qui plus est à un an de la Coupe du Monde 1998 (Guivarc’h intégrera le groupe France et sera champion du monde, ndlr). Or, de mon côté, je n’avais pas de plan de jeu. N’ayant que peu joué, j’ai été prêté à deux reprises. Ces prêts ont fonctionné mais ils m’ont aussi fait perdre du temps car je ne revenais jamais dans la peau d’un potentiel titulaire à l’AJA.

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Avec le recul, que vous a apporté Guy Roux comme entraîneur ?

Il faut avant toute chose être très respectueux, une telle longévité n’arrive pas par hasard. A l’époque où je jouais à l’AJA, la mentalité dans le football était différente de celle d’aujourd’hui. Il faut regarder tout ce qu’il a fait, sa méthode. Maintenant que je suis à mon tour entraîneur c’est important d’essayer de conserver des principes des coachs qu’on a eu. Bien sûr, on s’en inspire plus quand l’expérience comme joueur a bien fonctionné, mais je n’exclus pas cette expérience à Auxerre pour autant. Un coach s’inspire des autres entraîneurs, mais il faut surtout qu’il ait sa propre personnalité.

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A défaut d’avoir eu votre chance en D1, vous devenez un buteur régulier de la seconde division, tout d’abord en prêt à Châteauroux. Comment décririez-vous le rôle de l’entraîneur pour motiver un jouer à fort potentiel prêté en D2 ?

Pour ma part, je n’avais pas besoin de motivation de la part de l’entraîneur avant un match. Dans mon esprit, jouer était un tremplin pour mieux revenir en Ligue 1. A la Berrichonne, j’ai été entraîné par Joël Bats et Thierry Froger, une belle expérience. En revanche, j’ai connu trois coachs en une saison à Créteil. Ce qui ne m’a pas empêché de marquer mes buts, comme toujours dans ma carrière finalement. Ce n’était pas à l’entraîneur de me motiver. En revanche, on m’a collé une étiquette de buteur de Ligue 2 dont je n’ai jamais vraiment réussi à me défaire.

“Un coach s’inspire des autres entraîneurs, mais il faut surtout qu’il ait sa propre personnalité”.

Lilian Compan

Après votre second prêt par l’AJA à Créteil, vous rejoignez l’AS Saint-Etienne. De votre point de vue de coach, quand on entraîne un club aussi mythique que l’ASSE, comment adapte-t-on son discours après y avoir été joueur ?

Aujourd’hui, je constate que beaucoup de clubs prennent des entraîneurs qui ont évolué à un moment comme joueur dans le club. C’est un plus vis-à-vis des joueurs, notamment en termes de crédibilité : on dispose d’un vécu, de potentiels moments forts avec l’équipe. C’est important pour les jeunes aussi d’avoir un coach reconnu. Mais de l’autre, le fait de “connaitre la maison” fait qu’on devient parfois gênant pour certains membres de la direction, surtout quand les ambitions grandissent.

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Vous y marquez 21 buts en deux saisons de D2 et semblez-vous épanouir dans le collectif stéphanois. L’entraîneur d’alors, qui est Frédéric Antonetti, vous engage-t-il pour autant à garder la tête froide ?

Frédéric Antonetti a été un précurseur de mon milieu de carrière. Mon objectif personnel était alors de passer un cap vers la Ligue 1 alors que je souffrais de l’étiquette de buteur de Ligue 2, du temps en partie perdu avec des prêts. Il m’a témoigné une grosse confiance et je la lui ai rendue. Malheureusement, il se fait licencier puis signe à l’OGC Nice en 2005. Sincèrement, j’aurais pu le suivre quand il s’y est engagé car il m’a amené à un niveau très intéressant et aurait pu me permettre de passer ce cap. Cependant, j’ai préféré tenter de jouer en Ligue 1 avec les Verts.

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Justement, comment décririez-vous la place qu’occupe l’ASSE à Saint-Etienne, et, de fait, faut-il avoir une personnalité particulière pour entraîner un tel club ?

C’est un club mythique, qui est aussi mon équipe de cœur. Aujourd’hui, je pense que le profil de l’entraîneur est essentiel. A l’époque où j’y jouais, c’était moins le cas : être entraîneur ou joueur nécessitait d’avoir beaucoup de caractère et de personnalité. Cela pour tout donner sur le terrain et gérer la pression externe pour répondre aux attentes des supporters, il n’y avait pas d’autre problème à gérer. A présent, je trouve que la pression est plus interne. Elle est aussi toujours externe, avec les fans, mais le fait qu’elle soit double rend l’environnement plus complexe à gérer, et nécessite donc un profil particulier. Claude Puel fait changer ça et c’est une bonne chose pour le club, mais cela illustre qu’il faut néanmoins une personnalité acharnée pour y réussir.

Pour Compan, la science tactique d’Antonetti, qui a notamment permis aux Verts d’être champion de Ligue 2 en 2004, est un modèle à suivre. © AS Saint-Etienne

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En tant que joueur, vous tenez le cap et concurrencez Frédéric Piquionne, marquez même un but à Gerland face à l’OL, mais vous vous blessez gravement à la suite d’un choc contre Cris durant ce même match. A ce moment précis, quel peut être l’apport le plus efficace qu’un entraîneur, par exemple d’Elie Baup à l’époque, puisse avoir pour son joueur ?

Cette blessure est vraiment tombée très mal. La concurrence était rude avec Piquionne, Pascal Feindouno, Anthony Le Tallec aussi. Cela alors que je commençais à avoir ma chance à ce moment de la saison. Je pouvais revenir sur le devant de la scène. Au moment de ma blessure, le coach m’a soutenu, mais j’ai du partir dès la fin de la saison car personne ne m’a conforté alors que je voulais rester. Le club souhaitait recruter Sébastien Mazure de Caen, et on ne m’a pas demandé mon avis. Quand on sent qu’on n’est plus désiré, c’est de suite plus compliqué, mais c’est ainsi dans le football.

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D’ailleurs, vous signez par la suite à Caen et devenez un maillon fort du 11 de Franck Dumas, au point même de jouer gardien de but lors d’un match : était-ce une illustration de la complicité que peuvent avoir un entraîneur et son joueur ?

Oui car ça ressemble à Franck (Dumas, ndlr). Il a ses qualité et ses défauts, on le prenait comme tel, et il faisait de même avec ses joueurs. On avait vraiment une équipe soudée et de caractère, dans le sens où nous avions la même optique : on savait où on voulait aller, on s’aidait et s’entraidait en permanence. Lors de ce match contre le LOSC en 2008 (où Malherbe s’incline finalement 5-0 après que Benoît Costil fut exclu et que Franck Dumas eut déjà fait ses trois remplacements, ndlr), je regarde alors Yoan Gouffran, et il me dit qu’il ne voulait pas aller dans les buts. Du coup, comme je suis plus vieux que lui et animé de cette mentalité solidaire, je prends mes responsabilités et le fais pour l’équipe. Spontanément, c’est pas un souvenir génial car je prends trois buts et la défaite fut très dure. Mais avec le recul, c’est quand même une belle aventure, à faire une fois mais pas deux.

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Vous devenez néanmoins progressivement remplaçant et signez au Montpellier HSC. Vous y découvrez une nouvelle personnalité majeure du foot français en la personne de Rolland Courbis.

Oui, c’est vrai que Rolland m’a marqué. Je voulais aussi aider la famille Nicollin, car ça faisait plusieurs saisons qu’ils me suivaient et voulaient me faire signer au club. De plus, étant sudiste et natif de Hyères dans le Var, ce paramètre du retour dans le sud n’était pas négligeable. Je me sentais bien à Caen, mais avec l’arrivée de Steve Savidan, je sentais que mon temps de jeu allait se réduire. J’avais 31 ans, j’étais loin de chez moi en Normandie. Avec l’opportunité de rejoindre Rolland Courbis et apporter mon aide à la famille Nicollin, ça a vite fonctionné. Rolland, sa marque de fabrique, c’est le management de joueur. C’est quelqu’un qui sent les choses comme peu d’entraîneurs au niveau du feeling, ça nous amenait à nous transcender.

Rolland Courbis, un expert du management dont compte bien s’inspirer Lilian Compan. ©MadeinPaillade

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Une réussite puisque vous montez une nouvelle fois en première division. Vous avez ainsi connu trois montées en Ligue 1 avec trois clubs différents. Désormais, comment appréhenderiez-vous une montée en première division en tant qu’entraîneur ?

Malgré le fait d’avoir réussi trois montées, cela s’est toujours fait dans le calme et la réflexion, même si on est plus fougueux quand on est jeune. Une montée, quoi qu’on en dise, c’est une saison complète, il faut être performant du début à la fin, parfois même jusqu’à la dernière journée. Il faut se remettre en question régulièrement, ne pas foncer bêtement tête baissée. En tant qu’entraîneur, avec l’expérience de joueur que j’ai, je pourrais notamment faire bénéficier ce vécu dans un staff de Ligue 2 si l’opportunité devait se présenter.

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Vous quittez le monde pro avec plus de cent buts marqués en carrière, dont quatre-vingt-un en Ligue 2. Vous qui êtes aujourd’hui entraîneur principal au Hyères FC, conservez-vous un attrait particulier pour le travail spécifique des attaquants ?

Ma première idée après ma carrière était de rester dans le milieu du foot et faire travailler l’aspect offensif. Cependant, il faut parfois savoir remettre les choses à plat, voir ce qu’on peut faire d’autre. L’offensif reste dans mes grandes lignes, mais dans un club amateur comme le Hyères FC avec peu de moyens financiers où on joue d’abord le maintien, c’est plus dur de marquer soixante buts dans une saison. On est souvent plus proche des vingt-cinq. J’ai dû niveler mes grands principes, mes idées et certaines prétentions par rapport aux enjeux du terrain. Le plus important reste le résultat, par exemple par rapport à la pratique d’un jeu spectaculaire. Mais dans l’idéal, je donnerais surtout plus de liberté et de possibilités à mes attaquants !

“Une montée, quoi qu’on en dise, c’est une saison complète, il faut être performant du début à la fin, parfois même jusqu’à la dernière journée”.

Lilian Compan

Après avoir bouclé la boucle à l’AS Cannes, vous enchaînez ensuite à Cannes-la-Bocca, un petit club local. N’est-ce pas trop dur pour un joueur ayant connu aussi longtemps le monde pro que de commencer sa carrière d’entraîneur là-bas ?

Cela aurait pu se faire à l’AS Cannes, mais ayant été plus ou moins évincé par Jean-Marc Pilorget alors que j’avais 35 ans, ce fut compliqué. Dès le mois de février 2012, il ne comptait plus sur moi, tandis que je sentais très bien que physiquement, je n’étais plus capable de faire les mêmes efforts qu’avant. Je suis alors devenu directeur du recrutement jusqu’en mai 2012, sans aucune perspective de suite. Je travaillais en plus “dans le vent” car Pilorget ne voulait pas bosser avec moi. Mon contrat a donc été terminé en mai, alors que ce rôle m’allait très bien. On m’a proposé d’entraîner les U17 nationaux cannois car j’avais le diplôme nécessaire. Être formateur à Cannes alors qu’on y a soi-même été formé, c’est un sentiment étrange.

Par la suite, l’expérience de Cannes-la-Bocca fut inédite pour moi. Néanmoins, même si c’était au niveau régional, ça me permettait de mettre les mains dans le cambouis. Je savais en plus que j’allais partir ensuite entraîner à Saint-Etienne, alors autant travailler directement et progresser plutôt qu’attendre.

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Dans les nouveaux défis que vous avez connus à Saint-Etienne, lequel fut le plus intéressant entre la cellule de recrutement, entraîner les attaquants de la réserve ou les U19 nationaux ?

J’ai été aussi adjoint de la réserve, j’ai donc eu beaucoup de casquettes à Sainté ! Mais on ne m’a pas donné la chance de poursuivre dans les différents domaines où j’étais implanté. J’ai beaucoup changé de poste et ai finalement été jugé trop gênant à un moment donné. L’ASSE reste mon club de cœur, mais je n’y reviendrai pas tant que certaines personnes dans la direction seront là.

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Finalement, vous revenez dans votre ville d’origine, Hyères, pour y entraîner l’équipe fanion en N2. Quels sont les préceptes que vous y appliquez en priorité ?

Des entraîneurs que j’ai connus, je garderais la formation de Guy Lacombe, pour les jeunes notamment. La motivation dans le management des hommes de Rolland Courbis, et l’aspect tactique d’Antonetti. Même si j’en ai eu d’autres, je m’inspire d’eux tout en gardant ma personnalité.

Hyères FC, le football à l’ombre des palmiers

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Pourrait-on voir un club comme Hyères faire une épopée à la Luzenac ou Arles-Avignon par exemple ?

J’ai une multitude de casquettes au club et on rêve tous de ça. Mais dire que c’est encore réalisable aujourd’hui est compliqué, car l’argent est le nerf de la guerre pour durer. L’exemple de Chambly, qui résiste bien, est à suivre, mais ils disposent d’un vivier de footballeurs en région parisienne qui est top, ce qui n’est pas notre cas. Sans argent, c’est très difficile de pouvoir exister à long terme. Sur deux ou trois saisons, ça peut fonctionner, mais rarement plus.  

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Pour conclure cet entretien, avez-vous une préférence pour le Lilian Compan joueur ou l’entraîneur ?

C’est difficile de se juger soi-même. Le Lilian Compan “joueur” a pour l’instant plus réussi, mais ce n’est que le début de ma carrière d’entraîneur. C’est complètement différent, que ce soit sur l’approche, les moments vécus que le sont par procuration en tant qu’entraineur, et c’est quand même fabuleux. La passion du foot est là avant tout, c’est ce qui me fait avancer chaque jour. Et du moment qu’elle est là, d’être sur ou au bord d’un terrain, l’important pour moi est de demeurer dans le monde du foot, le reste suivra !

Propos recueillis par Thibaut Keutchayan

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