Passe en profondeur

L’école en centre de formation, un « cheminement différent »

Contrairement aux vocations sacerdotales, celles de footballeurs sont légions. De quoi faire pâlir d’envie tous les séminaires. Oui, mais « beaucoup d’appelés, peu élus » nous rappelle la Bible. Ronaldo, Messi, Neymar, Mbappé… Le gratin médiatisé du football mondial est à l’origine des espoirs, malheureusement souvent déchus, que des milliers de familles de milieux populaires placent dans l’ascenseur social supersonique que peut être une carrière professionnelle. Le centre de formation fait office de rampe de lancement. Si le décollage rate, les acquis de l’école devront recoller les morceaux.

Enquête à Brest, Lorient et Amiens, où nous nous sommes entretenus avec des responsables de centres de formation.


La jungle de la sélection pour un jeu qui n’en vaut pas souvent la chandelle

Avec une reproduction sociale diamétralement opposée à celle des artistes, le football est l’un des rares domaines où la promotion est réelle et fondée sur le seul mérite individuel. Marcus Thuram, fils de Lilian, est l’exception qui confirme la règle. Au moyen d’une sélectivité digne des plus prestigieux concours administratifs, les centres de formation trient les talents, et ce dès le début de l’adolescence.

L’INF Clairefontaine, souvent le début de beaucoup de sélection (@FFF)

Chaque année, près de 2 000 enfants tentent leur chance pour intégrer le prestigieux Institut National du Football (INF) de Clairefontaine (13-14 ans). Pour combien d’élus ? Une petite vingtaine seulement. Sur les 15 pôles espoirs agréés que compte le territoire français – soit environ 500 jeunes -, seulement la moitié rejoindra un centre de formation (15-19 ans) et un sur dix réussira à signer un contrat professionnel. Contrat professionnel ou amateur à l’issue du centre, c’est le foot avant tout. À l’échelle plus micro d’un club comme Lorient, le responsable pédagogique Thierry Le Van remarque que « sur les 10 élèves de l’année dernière qui étaient en terminale, 3 n’évoluent pas dans le domaine du football ».

En plus du caractère éphémère de la carrière de footballeur (en moyenne de 4 à 6 ans en Europe[1]), une infime partie des appelés réussiront à vivre convenablement du football, seulement une microscopique à fouler les plus belles pelouses européennes. Le processus de formation des joueurs de football professionnel conduit à plus d’échecs que de réussites sportives, avec des conséquences pour les jeunes footballeurs professionnels déchus. Pour éviter que les joueurs ne soient enfermés dans une bulle, et au vu des bons résultats de leur établissement partenaire, le Stade brestois a fait le choix peu commun de ne pas avoir d’école et de professeurs sur le centre.

L’importance de l’école

Le rôle du club de formation est en effet crucial dans la socialisation et l’éducation des jeunes padawans. L’important taux d’échec dans l’accès aux contrats professionnels confère à l’accompagnement scolaire un caractère salvateur. Le suivi des clubs est primordial. Pour ce fait, la responsable du pôle socio-éducatif d’Amiens, Juliette Soissons, a accès aux comptes Pronote des joueurs et assiste à tous les conseils de classe de ce public « atypique », souvent fatigué par les semaines intensives. Du côté de Brest, le responsable pédagogique fait un point hebdomadaire avec chaque jeune, qu’il partage ensuite avec les entraîneurs pour activer les leviers de sanction sportive en cas de mauvais résultats à l’école.

Considéré parfois par de nombreux jeunes et leur famille comme le seul moyen de s’extraire de leur condition sociale, l’illusion d’accéder au statut professionnel est un bien souvent piège qui peut se refermer sur des jeunes ayant tout investi dans cette voie, obnubilés par les gains potentiels faramineux. La clef pour éviter une chute brutale, parfois fatale, comme l’a tristement montré l’actualité récente ? « Plus de contacts pour plus de confiance », nous confie Juliette Soissons. De son côté, le directeur du centre de formation du Stade brestois, Nicolas Mariller, note parfois une logique plus « consommatrice » chez les familles.

Sans surprise, être en centre de formation conduit généralement à un parcours d’études courtes[2]. Une réalité d’autant plus forte lorsque l’apprenti footballeur se réoriente à un stade avancé de sa formation, pénalisé par son all-in sur la possibilité de devenir professionnel.  Sur ce point précis, le centre de formation de Lorient travaille depuis un an sur une formation professionnelle autour des métiers du football. Car après avoir échoué à la porte du monde professionnel, des jeunes rejoignent des emplois peu qualifiés. D’autres ont du mal à trouver un emploi et se reconvertissent en chasseurs de prime dans des clubs amateurs, devenant, de fait, des professionnels précaires grâce à des contrats fédéraux et parfois municipaux (jardinier, animateur en centre de loisirs, etc.).

La scolarité des jeunes, peu rentable au vu des classements fédéraux

Si l’on se tient aux critères de la FFF dans son classement annuel des centres de formation – déterminant leurs dotations financières -, le nombre et le type de diplômes obtenus par les apprentis n’est en effet qu’un critère parmi d’autres. La variable scolaire n’est que secondaire par rapport aux variables sportives retenues. Les 39 centres de formations agréés en France pourraient être ainsi peu incités à prendre soin de la formation scolaire de leurs ouailles, qui ne représente qu’un « coût économique et humain ».

Le terrain, levier de sanction pour les éducateurs de centre (@FFF)

Peu considérée dans les classements, la reconversion des anciens joueurs professionnels représente un enjeu majeur et peut s’avérer compliquée si elle n’a pas été bien préparée dès le centre. D’autant que l’UNFP estime que 50 % des footballeurs se retrouveraient sans le sou au moins 5 ans après la fin de leur carrière. Que cela soit le « triple projet » de Brest, le « projet global » à Lorient ou le « double projet » d’Amiens, le concept de « développement humain et scolaire » revient néanmoins systématiquement dans la bouche des éducateurs interrogés.

Le tout pour le tout

On a plutôt l’habitude d’évoquer les stratégies scolaires des familles de classes moyennes et aisées. Les ascensions fulgurantes des footballeurs mettent l’eau à la bouche des classes populaires, qui, elles aussi, peuvent avoir recours à des stratégies de mobilité sociale. Les familles tentent tant bien que mal de dépasser l’angoisse d’un double échec, scolaire et sportif. La tactique ? Insister sur les conditions de scolarité et la mise à l’écart de la culture de rue, une sociabilité parfois jugée négativement.

La légitimité de l’institution scolaire ne peut être que difficilement remise en cause, car le rêve risquerait de s’y briser, mais, paradoxalement, sans y croire pour autant, la culture scolaire les disqualifie. L’expérience de l’échec scolaire et le manque de ressources en ce domaine font obstacle à l’investissement des parents, qui se tiennent souvent à l’écart. Pas en mesure d’aider leurs fils dans le cadre scolaire, les familles se rabattent, par dépit, mais pleines d’espérance, sur le sportif. Les centres de formation sont les plus à même d’offrir un cadre proposant excellence sportive et suivi académique. À Amiens, un partenariat a été noué avec un lycée qui accueille d’autres sportifs de haut niveau.

Les familles n’ont souvent pas les moyens d’offrir un meilleur cadre d’ascension sociale que les centres de formation, et n’ont donc pas le choix : elles doivent s’en remettre aux clubs. Les éducateurs, les professeurs, les entraîneurs ont la balle et la garde tout au long de la formation. « La formation devient difficile quand les jeunes sont dans l’attente de la décision d’un éventuel contrat professionnel », constate Thierry Le Van. À cet égard, les visites d’anciens du centre sont précieuses pour les jeunes. À Brest, Gautier Larsonneur et Brendan Chardonnet n’hésitent pas à passer au centre pour aider les jeunes à prendre du recul par rapport au moment crucial qu’ils vivent. 

La chute

Lorsqu’Abdel apprend qu’il ne sera pas conservé par son club du HAC (@Arte)

Car le rêve peut s’évanouir d’un coup. Comme pour Abdel au Havre, dans l’excellent documentaire Arte « Aux pieds de la gloire ». « Ce documentaire met avant l’exigence d’un centre de formation », remarque Nicolas Mariller. Lors de l’annonce de la non-conservation de son fils par les formateurs, le père du jeune accuse le coup. Sa mine est encore plus déconfite que celle son protégé, qui ne sera pas conservé en raison de l’instabilité de son comportement. Tout au long du documentaire, l’éducation de l’apprenti footballeur est tiraillée entre l’ambition de réussir dans le foot pro, exit les études, et la possibilité, en cas d’échec, de réussir dans un autre domaine.

Sauf que pour tous les jeunes, « réussite » et « football » sont indissociables, des frères siamois indécollables. À cet égard, un ancien joueur pro formé au HAC s’entête à leur faire comprendre péniblement que la réussite peut être dans un autre domaine ; parfois en réutilisant la niaque compétitrice inculquée en centre de formation. Sans plus de succès, le père d’Abdel prend fièrement pour exemple le début de carrière prometteur de sa fille dans l’hôtellerie après un parcours scolaire semé d’embûches. En vain. Abdel ne bronche pas. Enfin, la scène avec la professeure de français est le coup de grâce. En petit groupe, elle leur demande quels sont leurs centres d’intérêt. Les quatre jeunes présents répondent aussitôt « l’argent » en cœur.

Alors comment garantir aux jeunes footballeurs une formation équilibrée et de qualité pour faciliter leur réorientation en cas d’échec sportif ? Les collectivités locales, les établissements scolaires et les entreprises sont autant d’appuis pour les clubs et les instances de gouvernance (FFF, LFP) dans leurs initiatives de formation, d’insertion et de réorientation des footballeurs.


Les centres de formation ont également leur rôle à jouer. En concurrence pour drainer les meilleurs talents de leurs régions respectives, les éducateurs de centres ne se rencontrent que très peu pour échanger les bonnes pratiques. Au détriment des jeunes qui leur sont confiés ?


[1] R. Duhautois, Le marché du travail des footballeurs professionnels : miroir aux alouettes, 2015.

[2] G.Raballand & J-F.Marteau, Le football, illustration d’un mal français, Etudes, 2009.

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