Crédits: Supportrices Football Club
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Le Supportrices Football Club, ou comment se réapproprier le terrain de la discussion footballistique

Le Supportrices Football Club est un groupe Facebook récemment créé et réservé aux supportrices pour pouvoir parler de leur passion pour le football. Rencontre avec sa créatrice, Zoé, qui a accepté de répondre à nos questions. 


Tout d’abord, comment est né ce projet de groupe de supportrices ? Les réponses ont-elle été immédiates ? 

Ayant été une grande fan de football depuis plus d’une dizaine d’années, je me suis toujours intéressée aux matchs, aux équipes et donc aux supporters. J’ai en effet été influencée par le poids de la ferveur des supporters en faveur de leur équipe mais j’ai bien vite réalisé que la majorité des supporters ayant vraiment une influence étaient des hommes.

Donc, je me suis dit qu’il était bien aussi d’avoir un espace réservé aux femmes afin de retrouver cette ferveur entre nous. Les réponses ont été immédiates, et 7 filles se sont aussitôt proposées pour m’aider à la gestion de ce groupe ce qui est un grand soulagement pour moi.

“C’est un principe essentiel pour moi de laisser chacune pouvoir s’exprimer sur ce qu’elle veut sans mettre de barrières ou de filtres sur leurs publications”.

Zoé, créatrice de “Supportrices Football Club

Ce groupe s’organise-t-il à travers des débats préparés à l’avance ou bien ces derniers sont-ils plus spontanés, au gré des publications des membres ? 

Etant donné que pour l’instant nous sommes au début de l’aventure de ce groupe, nous n’avons pas encore organisé le fonctionnement de ce groupe, donc ce sont les utilisatrices qui postent ce qu’elles veulent concernant le football dans sa globalité et nous réagissons ensuite ! C’est un principe essentiel pour moi de laisser chacune pouvoir s’exprimer sur ce qu’elle veut sans mettre de barrières ou de filtres sur leurs publications.

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Supportrices Football Club compte déjà plus de 280 membres. Es-tu surprise par ce succès ? 

J’ai été surprise oui ! Je ne m’attendais pas à ce qu’autant de filles pouvaient être aussi désireuses que moi de s’exprimer sur ce sujet avec autant d’enthousiasme. Mais cela n’est pas totalement inédit car on constate depuis plusieurs années un intérêt croissant des filles pour ce sport, grâce aux réseaux sociaux, grâce notamment à l’essor du football féminin.

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Peut-on s’attendre à voir rapidement émerger des projets autour de ce groupe ? En as-tu déjà en tête ? 

Ce groupe exclusivement féminin n’a pas pour l’instant de réels objectifs revendiqués.  Toutefois, pour moi, il est important d’acquérir une réelle visibilité et de montrer que oui les filles aussi peuvent s’investir énormément dans le football et oui, entre elles également.

C’est une profonde idée que je souhaiterais pouvoir défendre grâce à des liens avec la Fédération française de football, ou encore grâce à des clubs prestigieux de football professionnel et amateur. Ils sont un relais capital pour faire entendre et pour normaliser la voix des supportrices. 

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Que réponds-tu aux personnes qui critiqueraient la non-mixité du groupe ? 

Je leur dirai d’un ton aimable, que mon but ici n’est pas de satisfaire les exigences et les avis de la majorité mais de pouvoir satisfaire la part des femmes qui aiment le foot autant que les hommes et qui pourtant ne se sentent pas écoutées voire pas légitimes. C’est en effet une réalité que les femmes sont encore décrédibilisées dans la société et encore plus dans le foot que ça soit par des commentaires misogynes ou par des propos de moqueries.

Je veux, par la non-mixité, promouvoir un groupe permettant à toutes les femmes de s’exprimer à propos de ce sport si incroyable, et montrer que non, les hommes ne sont pas les seuls à être profondément attachés à un club, une compétition, un joueur ou tout simplement au football.

“Les réseaux sociaux n’ont pas encore compris l’importance de ces espaces considérés comme « safe »”.

Se réapproprier entre soi le terrain de la discussion footballistique sert-il également de réponse à l’incapacité des réseaux sociaux comme d’autres plateformes à offrir un endroit “safe” aux supportrices pour parler de leur passion ?  

Les réseaux sociaux n’ont pas encore compris l’importance de ces espaces considérés comme « safe ».  On le voit tous les jours avec Twitter notamment avec des tweets racistes, sexistes, homophobes ou transphobes qui peuvent être extrêmement violents pour les personnes concernées.  C’est contre ce dysfonctionnement que nous devons agir de notre propre initiative pour créer des espaces où la parole de tout le monde sera respectée et libre, et où les potentiels oppresseurs ne seraient pas acceptés ni tolérés.

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Justement, comment as-tu construit ton identité de supportrice dans ce milieu où la parole se retrouve souvent monopolisée par des fans masculins ? 

Je pense que j’ai réussi à créer ma place au sein des fans de football principalement par ma personnalité et rien d’autre. Lorsque j’ai commencé à réellement m’intéresser au football à mes 12-13 ans, je ne connaissais aucune autre fan féminine de football dans mon entourage. 

J’ai ensuite dû me justifier constamment de cette passion, en montrant mes connaissances sur tel ou tel joueur, telle ou telle équipe, ou en récitant le palmarès d’une équipe. C’était assez pénible d’être moquée, voire décriée quand je clamais haut et fort ma passion pour le football sous prétexte que je ne m’y connaissais pas ou sous prétexte que les filles n’étaient pas supposées s’y intéresser. J’ai donc quand même continué à me passionner pour les multiples frasques de l’Olympique lyonnais et ses nombreux compères. 

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As-tu réussi à mieux faire entendre ta voix au fil du temps ? 

Au fil du temps, j’ai pris conscience que j’étais parfaitement légitime à aimer le football, j’ai réalisé que chaque fille avait le droit d’aimer le sport qui lui plaisait et autant qu’elle le voulait. Une passion n’a pas à être justifiée, une passion n’appartient qu’à celui ou celle qui l’exerce et n’a pas à être défendue.  Le football est l’une de mes passions, même si je n’en joue pas encore, et c’est également le cas pour toutes les filles faisant partie de Supportrices Football Club je l’espère.

Cette prise de conscience s’est avérée essentielle notamment dans l’entrée en études supérieures où j’avais davantage de liberté et de possibilités pour m’intéresser au football qu’avant, de par mon arrivée à Lille et mon autonomie croissante.

“Ce groupe est encore une fois la preuve même qu’une réelle sororité existe entre les femmes”

Malgré la création très récente du groupe, Supportrices Football Club t’apporte-t-il déjà plus d’assurance et de sécurité dans l’exercice de ta passion envers ce sport ? 

Ce groupe me remplit vraiment de joie, car il y a une réelle diversité dans le profil des adhérentes qui montre que le foot touche un grand nombre de personnes différentes et qu’il est impossible de pouvoir faire des généralités. Il me montre également que le football tient une réelle place dans la vie des gens, et que partager des préférences différentes n’empêche en aucun cas de pouvoir discuter calmement entre nous.

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Imagines-tu un rééquilibrage des rapports de force dans les années à venir, permettant une libéralisation de la parole des supportrices ?

Je l’espère sincèrement, car toutes les filles méritent de se faire entendre et méritent d’avoir confiance en elles. Ce groupe est encore une fois la preuve même qu’une réelle sororité existe entre les femmes, et que nous ne demandons qu’à l’exprimer et à l’organiser sur les réseaux sociaux mais pas uniquement.

J’aimerais réellement que les hommes cessent d’exprimer leur position dominante constamment, et libèrent de l’espace pour toutes les femmes dont l’avis mérite infiniment plus de visibilité. 

Propos recueillis par Nicolas Mudry

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