La semaine contre l'homophobiePasse en profondeur

Le Cav’ enquête: homophobie et football français, un terrain glissant ?

Football et homophobie ! Deux mots a priori bien éloignés. Deux mots que tout oppose mais, aujourd’hui, beaucoup trop souvent associés. Le football d’un côté, sport unificateur, fédérateur et vecteur d’intégration. L’homophobie de l’autre, fléau trop souvent considéré comme folklore, qui fracture et divise l’ensemble des acteurs œuvrant au quotidien pour le bien du football français. Caviar est parti à la rencontre de ces acteurs pour comprendre les raisons d’un tabou dérangeant, des tribunes, en passant par le terrain, jusqu’aux plus hautes instances de nos institutions sportives. Ils sont président ou membre d’association, conseillère pour le Ministère des Sports, avocat pour des groupes de supporters ou même ancien joueur ayant révélé publiquement son homosexualité. Tous acquis à une même cause: mettre fin à l’omerta, à ce mal qui gangrène le football français.


Les centres de formation, prémices d’une homophobie banalisée.

Former, faire grandir, faire progresser, c’est la mission principale des centres de formation. Alors oui, avec pour objectif de former les meilleurs joueurs de demain. Mais parfois au détriment de principes fondamentaux tels que la tolérance, le respect d’autrui et la diversité. Le centre de formation c’est aussi l’apprentissage de valeurs qui suivent les joueurs toute une vie. Et quand ces valeurs sont remplacées par des faiblesses intellectuelles comme l’homophobie, celle-ci trouve un terrain de jeu idéal dans les centres de formation pour s’y développer. Cela s’explique notamment par la pression inhérente aux centres de formation qui pousse chaque joueur à être meilleur. La performance étant souvent assimilée à la masculinité, les jeunes joueurs se construisent avec l’idée, qu’être gay c’est être faible. Un phénomène loin d’être nouveau, renvoyant à une vision très genrée du football, que les éducateurs contribuent à faire perdurer. Dans certains cas, exister et se faire une place dans un collectif passe alors par la négation de ses préférences sexuelles.

« En communiquant de manière homophobe, les éducateurs contribuent à enraciner le problème et faire perdurer le phénomène d’homophobie »

Théo Lequy, membre de l’association Foot Ensemble.

Mais alors, ne faut-il pas agir sur la formation des éducateurs pour essayer de couper le problème à la racine ? C’est l’un des axes de travail que s’est fixée l’association Foot Ensemble. Créée en 2015, par Yoann Lemaire, ancien joueur amateur victime d’homophobie en 2009, Foot Ensemble s’est lancée dans une croisade contre l’homophobie dans le football français. Pour Théo Lequy, membre de l’association depuis septembre 2019, il n’y a pas de doutes à avoir. Éradiquer l’homophobie dans les centres de formation est essentiel pour que la lutte soit efficace. Bien aidée par Ligue de Football Professionnelle, Foot Ensemble a élaboré des guides et livrets pédagogiques explicatifs des comportements à adopter. Une action qui se veut éducative et adressée à l’ensemble des centres de formation des clubs français.

« Quand je vais dans les centres de formation, les gamins ne comprennent pas que les insultes telles que “pédés” ou “enculés” soient homophobes »

Yoann Lemaire, président de l’association Foot Ensemble.

Autre outil employé par l’association, le film-documentaire « Footballeur et homo: au coeur du tabou », co-écrit par Yoann Lemaire et Michel Royer, dans lequel s’expriment de nombreux acteurs vedettes du football français, dont Antoine Griezmann. L’objectif est clair: former les éducateurs pour qu’ils soient prêts à affronter ce genre de situation et sensibiliser les jeunes à la thématique. C’est par la déconstruction de préjugés infondés et inscrits dans l’imaginaire collectif des jeunes footballeurs que passe la lutte contre l’homophobie. Car oui, si les professionnels de demain montrent une implication différente que leurs prédécesseurs sur la question de l’homosexualité, on verra peut être, un jour, un joueur assumant son homosexualité, fouler les pelouses de Ligue 1. 

Le stades de foot, exutoires où l’on peut tout tolérer ? 

Parenthèse enchantée où spectacle et bonne ambiance sont au rendez-vous, les stades de foot sont aussi devenus des lieux où l’homophobie sévit en toute impunité… ou presque. Mais alors, comment trouver le juste milieu entre des enceintes aseptisées, au silence de cathédrale, et des arènes aux chants agressifs et virils devenus insupportables à entendre ?
La question des chants dans les stades de foot a fait couler de l’encre en début de saison. Le 16 août 2019, lorsque Mehdi Mokhtari, arbitre de la rencontre de Ligue 2 entre Nancy et Le Mans, arrête pour la première fois un match de foot pour des chants homophobes, il ne se doute sûrement pas du séisme qu’il va provoquer. Les critiques pleuvent et tous les acteurs y vont de leur commentaire. Du côté des joueurs, l’embarras se fait sentir et alors que certains préfèrent éviter le sujet, les groupes de supporters montent au créneau. Ils y voient une fois de plus la volonté de les écarter des stades. Un choix orchestré selon eux par la Ligue de Football Professionnel (LFP), cible préférée des groupes de supporters. Le message qui se cache derrière leurs banderoles à l’ironie parfois trop excessive est simple: la LFP se trompe de combat en les sanctionnant plutôt qu’en traitant le problème à la racine. Pierre Barthélémy, avocat de l’Association Nationale des Supporters, l’affirme: « C’est une très mauvaise solution qui a été utilisée pour donner l’impression d’agir. Ça n’a servi à rien, au contraire, ça a déclenché un mouvement d’ironie avec toutes ces banderoles plus ou moins incisives sur la question ». Il déplore qu’aucun cadrage sur ce qui est discriminatoire ou pas n’ait été défini. Une décision sortie de nulle part sans qu’aucun travail de prévention auprès des supporters n’ait été effectué au préalable. Un avis que partage Yoann Lemaire: « Lorsque Nathalie Boy de La Tour – Présidente de la LFP – nous a annoncé que la décision avait été prise d’interrompre les matchs à partir d’août 2019, je me souviens avoir dit en commission qu’il manquait la prévention faite en amont ». Pire encore, c’est une mesure qui donne du pouvoir aux supporters homophobes, libres d’arrêter un match quand ils le veulent, par exemple, pour donner un temps mort à leur équipe…

« Je pense qu’il faudrait arrêter le match à chaque fois et au bout de la 3 ème fois dans une même rencontre, match perdu pour l’équipe dont les supporters profèrent les chants homophobes »

Olivier Rouyer, ancien joueur professionnel ayant fait son coming-out en 2008.

Pour Olivier Rouyer, aujourd’hui consultant pour la chaine L’Équipe 21, le constat est tout autre. Si les supporters ne veulent pas comprendre, les sanctions doivent tomber. Elles sont rares mais n’ont pas épargné l’ancien capo – leader vocal de la tribune – du RC Lens sanctionné par la Commission de discipline de la LFP pour avoir lancé un chant jugé homophobe. Une sanction “exemplaire” qui en appelle à d’autres en cas de récidive et qui montre la fermeté croissante des institutions sur la question.

“Les ultras chantent mécaniquement, pour eux c’est du trashtalk. Quand ils chantent, ils ne pensent pas à quelle est l’identité de la personne visée en face et d’ailleurs on voit bien que les mêmes chants s’appliquent à des institutions comme la LFP et plus seulement à des individus”

Pierre Barthélémy, membre de l’Association Nationale des Supporters.

Mais tous les supporters ne sont pas à blâmer et les actes homophobes restent souvent isolés, rétorque Pierre Barthélémy. Comme il le rappelle, des groupes se mobilisent pour repousser l’homophobie à l’extérieur des stades de foot. C’est le cas des Ultramarines à Bordeaux qui ont fait revoir tous leurs chants afin de les conformer aux règlements. Un autre exemple encore plus marquant de la bonne volonté des groupes de supporters se trouve à Grenoble. Les Red Kaos s’inscrivent à leur manière dans la lutte contre l’homophobie. À l’image des ultras de Sankt Pauli – connus pour déployer un drapeau LGBT à chaque match – en Allemagne ou des Bukaneros – ultras du Rayo Vallecano – en Espagne, le groupe né en 1994 se distingue par sa ligne anti-discriminations que ce soit au stade ou au sein de la ville lors des différentes manifestations. Une position pas toujours vue du bon oeil par les instances et certaines associations qui avaient condamné en avril 2019 une banderole provocatrice du groupe. 

Une énième provocation, comme un moyen pour les Red Kaos de prendre part à la lutte contre l’homophobie tout en dénonçant l’immobilisme des institutions du football français.

Institutions, accordez vos violons !

Au sein des plus hautes instances du football français, la prise de conscience est venue sur le tas, tristement accélérée par le cas de Yoann Lemaire. L’histoire de ce joueur amateur, exclu de son club parce qu’il était homosexuel, a montré la nécessité d’agir. Un problème pris au sérieux au cours du mandat à la LFP de Frédéric Thiriez entre 2008 et 2012, bien soutenu par la Secrétaire d’État chargée des Sports de l’époque Rama Yade. Cela se traduit très rapidement par la mise en oeuvre d’actions concrètes comme la signature d’une charte, à l’origine de l’association Paris Foot Gay – dissoute en 2013 – en collaboration avec la LFP. Mais elle ne reçoit pas l’écho attendu. Seulement 8 clubs professionnels sur 44 la signent. Pour Pierre Barthélémy, la charte est « un simple outil d’affichage qui permet de se faire bien voir du grand public pour ne pas faire grand chose derrière »

« C’était une connerie monumentale ! Les chartes cela ne sert à rien ! Cela n’a rien apporté si ce n’est que cela a desservi la cause. Elles engagent les clubs pour faire plaisir alors que les présidents s’en foutent royalement »

Yoann Lemaire, Président de l’association Foot Ensemble.

Une déclaration d’intention donc de la part des institutions sportives mais sur fond d’hypocrisie. Le combat n’avance pas et les moyens employés sont jugés insuffisants. D’ailleurs, il faut attendre les arrivées successives de Nathalie Boy de la Tour à la LFP et de Laura Flessel au Ministère des Sports pour assister à une considération totale du problème. Une volonté d’instaurer un dialogue sain entre les supporters, les associations et les instances a été affichée. En 2017, la création de l’institut National du Supportérisme (INS) a permis de créer un lien entre les différents acteurs et vise à considérer la lutte autrement que par le simple prisme de la répression. Des progrès encourageants pour Pierre Barthélémy satisfait que l’ANS ait pu intégrer, en 2017, cette entité qui rédige en ce moment même un rapport permettant de faire un état des lieux et de donner des préconisations: « Les groupes sont très impliqués et je sais que l’ANS a fait 20 pages de commentaires pour améliorer le rapport donc, en ce sens, il y a un vrai travail collaboratif ». L’arrivée de Roxana Maracineanu au Ministère des Sports en septembre 2018 divise. Soucieuse de poursuivre le travail effectué par sa prédécesseure, elle a même décidé de mettre les bouchées doubles dans la lutte. Des paroles qui semblent se joindre aux actes puisque comme le confirme Cécile Mantel, conseillère éthique et intégrité au Ministère des Sports: “le budget 2021 consacré à l’ensemble des actions en faveur de l’éthique et l’intégrité, incluant notamment la lutte contre toutes les formes de discriminations, pourra atteindre jusqu’à 1 million d’€”. Des propos bien accueillis par les associations comme SOS Homophobie ou Foot Ensemble mais qui passent moins chez les groupes de supporters.

La réaction des supporters parisiens aux propos de la Ministre des Sports Roxana Maracineanu

Et la FFF dans tout ça ? Première fédération de sport en France, sa position est ambivalente sur le sujet. Forte d’un service RSE de 5 personnes pilotant des projets contre les discriminations, la FFF semble à première vue s’inscrire pleinement dans la dynamique. Mais à en croire le discours de son Président Noël Le Graët en septembre dernier, la lutte contre l’homophobie n’est pas sa préoccupation première: “le racisme et l’homophobie dans les stades, ce n’est pas la même chose. J’arrêterais un match pour des cris racistes mais pas pour chants homophobes“. Des propos qui ont obligé les associations à monter au créneau pour vilipender la vision du patron du football français. Surtout, une position maladroite qui envoie de mauvais signaux aux éducateurs et aux jeunes joueurs, alors que l’évolution des mentalités se faisait sentir. Le week end du 17 mai 2019, la LFP décidait de dédier entièrement les rencontres de Ligue 1 et Ligue 2. Un grand pas en avant qui permet selon Théo Lequy de « faire entrer le débat dans la sphère publique », un moyen de briser l’omerta. Concrètement, cette action s’est exprimée par la création d’un clip de sensibilisation menée conjointement par la LFP, SOS homophobie, Foot ensemble, les PanamBoyz & Girlz United et la DILCRAH et plus symboliquement en demandant aux capitaines des équipes de porter un brassard-arc-en-ciel. Mais une fois encore, la mesure a buté sur des joueurs réfractaires…

Le fameux brassard arc-en-ciel, action symbolique et visible en Ligue 1 et Ligue 2 qui n’a pas fait consensus chez les joueurs…

Les footballeurs de véritables acteurs du combat.

Et si c’est d’eux que venait le changement ? Que se passerait-il si Messi ou Ronaldo annonçaient qu’il était gay-friendly ? Si soudainement, les idoles de tous libéraient leur parole pour soutenir la cause ? Mieux encore, comment le monde du football masculin accueillerait le coming-out d’un de ses meilleurs joueurs ? Malheureusement, cela parait inenvisageable tant le tabou reste important. Le football féminin bien qu’encore très imparfait dans le domaine, a le mérite d’être porteur d’espoir. Megan Rapinoe, meilleure joueuse de la dernière Coupe du Monde en France, est “sortie du placard » en 2012. Une décision pleine de courage pour Olivier Rouyer: « Il est évident qu’il manque “un Rapinoe” au football masculin international ! Bien sûr que ce serait la meilleure solution mais on en vient toujours à ce dont les footeux ont peur, c’est-à-dire la réaction des réseaux sociaux, dans les stades ». Un tabou qu’a essayé de briser le champion du monde de patinage français Guillaume Cizeron. Alors messieurs, comme on dit: il n’y a plus qu’à.


Si le racisme commence à ne plus être accepté – à juste titre – dans les stades de foot, pourquoi faudrait-il tolérer l’homophobie ? Les acteurs s’organisent pour lutter contre l’homophobie même si des antagonismes persistent. Un combat en bonne voie mais encore long pour se rapprocher de pays comme la Hollande, en pointe sur la question. Alors si l’avenir nous appartient, tâchons d’en faire bon usage, histoire que le terrain glissant devienne un terrain ouvert à tous.

FORQUES Hugo. Illustration : Romane Beaudouin.

Remerciements tous particuliers à C.Mantel, Y.Lemaire, T.Lequy, P.Barthélémy et O.Rouyer

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