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La VAR tue-t-elle l’émotion ?

On hurle, on saute, on prend son voisin dans les bras puis on crie de nouveau au moment où le speaker répète le prénom du buteur attendant qu’on prononce son nom. Lorsque son club de cœur marque un but, le stade connait une émotion très palpable. Seulement, certains supporters ont peur que la VAR tue cette émotion et, par conséquent, dénature l’essence même du football.


Alors que le 29 février prochain l’IFAB (International Football Association Board) tiendra un congrès afin d’améliorer l’utilisation de la VAR en vue de l’Euro 2020, cet outil est, comme depuis son instauration, très critiqué. On lui reproche notamment des décisions toujours litigieuses et parfois trop longues. Cette durée jugée trop étendue permet d’apporter de l’eau au moulin des romantiques persuadés que la VAR tuera, à terme, l’émoi de ce sport. L’émotion est, par définition, un état affectif intense, caractérisé par des troubles divers qui peuvent, par exemple, être des hurlements, des sauts ou des accolades joyeuses si son équipe favorite marque un but. Cette émotion indescriptible tend-elle à disparaitre avec l’utilisation de l’assistance vidéo ? Loin de notre intention l’idée de se demander si cet outil est bon ou mauvais, nous n’avons pas les compétences pour, mais l’interrogation sur son rapport aux sentiments semble nécessaire pour notre future perception du football.

Emotion différée, émotion diminuée

Aujourd’hui, la VAR est utilisée dans quasiment toutes les compétitions et partout elle semble faire polémique. L’an dernier la Serie A était au cœur de la tourmente, cette saison c’est la Premier League qui connait quelques déboires. Dans le championnat anglais, presque tous les entraineurs ont pâti de la VAR mais l’image qui restera est celle de Pep Guardiola qui peste face à l’arbitre de la rencontre opposant ses Cityzens à Tottenham en août dernier. A la dernière minute celui-ci avait refusé un but de Gabriel Jesus qu’il avait préalablement validé voyant le technicien espagnol et l’ensemble des supporters mancuniens le célébrer puis se rasseoir entre colère et dépit. Des sentiments qu’ils avaient déjà vécu en avril, également face aux Spurs, quand l’arbitre de la rencontre du quart de finale retour de la Ligue des Champions avait refusé un but à Sterling en fin de match scellant leur élimination. The Times écrivait après l’épisode européen : “Tous ceux qui ont dit que la VAR allait détruire l’émotion dans le football auraient du être là. Ca l’a en fait décuplée”. En effet, selon le journal britannique, l’assistance vidéo crée de nouvelles émotions au lieu de les “tuer”.

Emotion décuplée pour Pep Guardiola qui se plaint auprès du corps arbitral.

Des décisions souvent données à retardement, ce qui pose problème. Les Cahiers du football, à l’inverse, écrivent qu’ “on est quelques-uns pour qui ça divise plutôt les émotions par deux : on n’ose plus réagir sur le moment, puis on réagit à une décision de la VAR au lieu du but lui-même…”. Or, si tant de gens regardent ce sport, ce n’est pas pour vivre des moments de soulagement mais d’ivresse, déplacer l’émotion l’amoindrie donc. Simone Inzaghi, entraineur de la Lazio, dit lui que “cela enlève les émotions du foot, à nous et aux tifosi. Après un but, on ne s’embrasse plus, on regarde l’arbitre. Cela m’enlève l’adrénaline et le goût du foot”. Les émotions sont nécessaires à la bonne évolution du football, ce sport qui est “un théâtre pour le spectateur” selon l’historien Paul Dietschy. Quel art est plus marqué par les émotions que le théâtre justement ? Une différence demeure cependant entre le théâtre et le football. En effet, dans le sport, le supporter peut influer le dénouement du drame qui se déroule devant eux. Cette volupté semble donc en grand danger sous le prisme de la VAR et de la robotisation du football.

Si l’on va au stade, c’est pour faire le plein d’émotions, si celles-ci deviennent conditionnelles en attendant que l’arbitre valide un but après avoir préalablement discuté avec ses assistants dans un camion, il n’y a plus d’intérêt. L’anthropologue Abdu Gnaba s’exprime sur les sentiments que peut ressentir un fan de football : “On naît au début du match, on meurt à la fin, au milieu on vit dans une tension tragique. Elle nous renvoie à un sentiment de peur. Mais cette peur, voire cette terreur, peut être soulevée par de fugaces moments de plénitude”. Un mot fort qui caractérise l’importance d’un but dans le football, le seul sport collectif à procurer cela puisque partout ailleurs les réalisations sont plus nombreuses. Un moment de plénitude qui se retrouve donc entravé. Mais au nom de quoi un arbitre, situé hors du stade symbole du manque de perception d’émotion, se permet-il de restreindre les sentiments d’une foule qui n’attend que ces “fugaces moments” ?

Privilégier la justice à l’émotion ?

C’est par soucis de justice que la VAR a été mise en place. Une droiture qui se retrouve donc privilégiée à l’émotion. Cependant, l’essence même du football est faite d’émotions instantanées et d’injustices émotives plus que de célébrations gâchées et de justices froides. Il est nécessaire de simplifier au maximum le travail des arbitres mais à quel prix ? Ceux-ci font partie du jeu et, après tout, l’erreur est humaine. Si l’on voulait grossir le trait, on pourrait dire qu’en plus de nous enlever nos sentiments, la VAR diminue également l’humanité dans le football. La seule justice qu’il existe dans ce sport est de commencer le match sur le même pied d’égalité sur un score de 0-0 et onze joueurs de chaque côté. Le reste n’est que vice, injustice et dramaturgie avec comme objectif de marquer un but de plus que son adversaire.

France-RFA 1982, la plus grande injustice selon les Français. La VAR aurait-elle changé la situation ?

Le chorégraphe Pierre Rigal met en scène ces injustices dans son spectacle “arrêts de jeu”. Selon lui, elles servent à rythmer l’histoire du football : “Dans la vie, on est à l’affut de l’imprévu, on essaie de s’adapter aux événements qui arrivent. Un match de football c’est ce qui est condensé. On condense l’aléatoire, l’improvisation, l’adaptation. On vit de manière très concentrée une vie entière avec ses aléatoires et ses injustices”. Il faut dire que, dans l’histoire, on s’est toujours accommodés de ces erreurs d’arbitrage. Si aujourd’hui ce besoin de justice est si primordial, ce n’est pas dû à l’apparition soudaine de vertu dans le milieu du football mais plutôt à des intérêts économiques devenus plus importants que les émotions du supporter moyen. Ces fautes ne sont en réalité des injustices qu’aux yeux d’investisseurs voyant leur business entravé.


Ces erreurs sont maintenant jugées intolérables. Les après-match où l’on débriefe la présumé gravité de celles-ci augmente cette volonté d’en terminer avec ces “préjudices” et cela crée une haine démesurée envers l’arbitrage. Une nouvelle émotion me direz-vous, elle n’est à mon goût pas nécessaire. Le football devrait être avant tout une histoire de joie et de partage et cela même s’il existe des injustices. Après tout, y aurait-il eu la même osmose entre les Bleus d’Hidalgo et le public français durant l’Euro 1984 si ce dernier ne s’était pas senti lésé deux ans auparavant un soir d’été à Séville ? Sans sa célèbre Mano de Dios, Maradona serait-il autant adulé qu’il ne l’est aujourd’hui en Argentine et dans le monde entier ? Tant de questions que la VAR aurait pu nous enlever en même temps que nos émotions en raison d’un respect froid et impitoyable de la loi. Le parfait contraire du football.

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