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La fable niçoise de l’Aigle et du Berger

Sur les rives du Var, le fleuve séparant l’historique Comté de Nice de la Provence, trône désormais fièrement le nouvel écrin de l’OGCN depuis sept saisons : l’Allianz Riviera. Comme une ambition de réunir les deux rives autour du club azuréen, deux mascottes y font vivre le club et se partagent le cœur des supporters niçois. Fait d’autant plus rare dans le football français, ils ne s’agit pas de personnages de fiction mais de personnalités réelles. De Mèfi l’aigle au regretté Berger de Saint-Martin Vésubie, Caviar est allé à la rencontre de supporters du club. Issus de trois générations différentes, Jean-Louis, Marc et Chiara racontent l’OGC Nice par le prisme de ses mascottes.


Mèfi, l’aigle brun dans un ciel azur

Son cri strident pourrait descendre des hauts sommets alpins environnants et rappeler que parmi les seigneurs de la montagne, l’aigle est le roi. Après l’adoption d’un nouveau logo consécutif au changement de stade, depuis le mythique Ray jusqu’à la moderne Allianz Riviera, la régénération de l’identité de l’OGC Nice impulsée par Jean-Pierre Rivère se poursuit.

Si l’aigle est bien un symbole historique de la ville de Nice, représenté depuis près de six siècles, alors que la cité faisait partie du Royaume de Savoie, sa mise en avant est renouvelée durant la dernière décennie. Devenue française en 1860, « Nice conserve son symbole, que l’on retrouve également sur les blasons successifs du club jusqu’à nos jours », explique Jean-Louis, septuagénaire au cœur rouge et noir.

Aussi, lorsque la direction niçoise s’attelle à rendre son image plus attractive et dynamiser l’ambiance au stade, il lui vient l’idée de mettre ce symbole au cœur des animations du club. Avec une mobilisation locale forte comprenant le vote de plus de 25 000 Niçoises et Niçois, l’OGCN veut rassembler autour d’un aigle véritable auquel il faut un nom.

Et ses supporters semblent trouver l’initiative pertinente. Marc, la cinquantaine, estime qu’il s’agit d’un « bon choix, ça représente bien la ville de Nice tout en donnant une nouvelle dimension à l’emblème “historique de notre glorieuse histoire” ». Il est rejoint par sa fille Chiara, fidèle du club du haut de ses seize ans : « C’est une très bonne idée pour donner une belle image du Gym. En plus, son cri perçant, son vol impétueux peuvent être à même d’impressionner l’adversaire ». Depuis 2014, celle qui fut baptisée “Mèfi” tisse un lien entre son nom en Nissart, la langue locale, et un message pouvant être compris de tous : elle donne le ton juste avant le coup d’envoi de chaque match à domicile. Et contrairement au bouc Hennes, une autre célèbre mascotte vivante dans l’Europe du foot, elle a même pu s’envoler lors des matchs d’Europa League du club azuréen.

« Ce nom est désormais comme est une “marque déposée” : tout le monde le connait, ce n’est plus seulement un mot. il a intégré l’identité du club » pour Marc. Chiara va même plus loin : « C’est un moment de rassemblement du peuple niçois. C’est très positif car ça donne un certain “folklore” au club et permet d’avoir une plus grande visibilité, avec un caractère et une identité particulière ». Jean-Louis conclut : « Pour moi, ce n’est pas une attraction, c’est une manière d’entrer en communion avec tous les Héros du passé de l’OGC Nice, tout en chantant à pleins poumons Nissa la Bella, toutes bannières tendues ! »

Un hymne local désormais centenaire à écouter et réécouter au stade comme à la maison.

C’est donc une nouvelle figure féminine qui veille sur la ville et son club phare, à l’instar de Catherine Ségurane, héroïne locale depuis plus de six siècles pour sa résistance lors du siège ottoman de Nice en 1543. Proposé aux votants et déjà donné à l’une des tribunes du stade, son nom résonne désormais dans le coeur des supporters aux côtés de Mèfi. Et si l’aigle, accompagnée de son célèbre fauconnier Jean-Philippe Roman, remplit régulièrement sa mission avec succès, elle apprécie également surprendre. Immortalisé par une caméra embarquée et visible ci-dessous, son atterrissage dans les tribunes juste avant un Nice-PSG en 2018 fit le tour de la France. Comme un mauvais présage, le match fut d’ailleurs perdu par les Aiglons par deux buts à un. « J’ai également assisté à un match où Mèfi s’était posée sur la transversale, et on avait aussi perdu ! » s’exclame Marc.

S’il aime voir Mèfi atterrir dans le rond central lorsqu’il se rend au stade, Marc tempère cependant : « C’est certes impressionnant, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait une influence sur l’adversaire ». Il faut dire que l’oiseau plane alors que les deux équipes troquent leurs tenues d’entraînement pour celles de match. Avant d’ajouter : « Cela est cependant cohérent, comme pour le Benfica Lisbonne au Portugal. Son vol évoque un point d’orgue, c’est aussi une attraction pour tous les spectateurs, et même les supporteurs adverses apprécient ».

Et cette image positive, le club ne cesse de l’exploiter au sein de campagnes de communication, dans la réalisation de produits dérivés, et même la création de son jeune groupe de supporters depuis 2018, connu sous le nom du “Mèfi Club”. Mais l’image de l’OGC Nice ne se cantonne pas à l’aigle royal au dressage exemplaire. Une autre mascotte, bien plus joviale et non moins sympathique, a contribué à rendre populaire le club dans de nombreuses tribunes aux quatre coins de la France : le Berger.

Paul Capietto, le Berger devenu star nationale

Rencontré par Caviar à l’été 2019 au détour d’une partie de football sur le pré de Saint-Martin Vésubie, village emblématique de la “Suisse niçoise” à une heure de route de Nice, le Berger fut fidèle à sa réputation. Celle d’un homme simple et généreux, au sourire communicatif et à la volonté inébranlable de jouer au pilou. Derrière le personnage endossant le costume du “ravi” quand il n’était pas en train de quitter sa vallée à vélo avec chaussures et skis aux pieds, Paul Capietto menait une vie paisible dans l’arrière-pays niçois.

L’ancien moniteur de ski rappelait à tous ceux qui croisaient son chemin qu’il avait formé Hugo Lloris à ce sport, avant que le Niçois ne devienne un habile jouer de tennis comme le gardien des champions du monde 2018. Fidèle parmi les fidèles, “uno di noi” comme se plaisent à dire les supporters niçois, le Berger avait été contraint de quitter son mythique arbre devant la tribune occupée par la Populaire Sud. Une autre manière de vivre le football qu’il avait troquée pour une place gracieusement offerte par le club à l’Allianz Riviera.

Pour Jean-Louis encore, « son image restera à jamais gravée dans ma mémoire. Accroché au plus haut d’un arbre, ballotté au gré du vent, il s’époumonait à chaque match. Gare à celui qui lui aurait pris sa place ou l’aurait empêché d’y monter, elle lui était réservée ! » Déjà en 2013, l’ancien capitaine rouge et noir Didier Digard évoquait cette personnalité particulière qu’était le Berger dans la vidéo ci-dessous.

Marc abonde : « Pour moi, c’est l’image même du véritable supporter, le trait d’union entre l’ancien stade et le nouveau, de l’arbre du Ray et au siège de l’Allianz. Il constituait un lien entre toutes les générations, un “vieux Niçois” connu de tous ». Chiara garde elle l’image d’un « gentil papa Noël nissart, le plus fervent supporter, aussi positif que sympathique pour Nice ». Jean-Louis ajoutant que « le football est un sport populaire et, comme le club, il a besoin de telles icônes ». Car le Berger ne limitait pas ses déplacements aux différents stades niçois. Toujours avec son vélo, rarement avec son ticket de train en règle, il vadrouillait aux quatre coins de l’Hexagone pour faire connaitre son amour pour Nice.

C’est lors de sa légendaire escalade du panneau d’affichage du stade Louis II, sous les yeux de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, que le Berger commence à se faire un nom. Les Aiglons créent l’exploit en s’imposant 0-1 un soir d’avril 2003 face au XI de Deschamps. Fou de joie, Paul Capietto brave les interdits pour se hisser à la plus haute place et y célébrer la victoire. Pour Marc, c’est durant ce match qu’il est « devenu une “star locale”, notre “Garibaldi du XXIème siècle”, avec sa médiatisation d’emblée très positive ». Un coup de canon sur le Rocher de Kaba Diawara qui coûte cher à l’ASM dans sa course au titre, terminant second à seulement un point de l’OL. Une performance que réédite le Gym la saison suivante. Menés 3-0 à la soixantième minute, les Niçois renversent la vapeur et pour gagner par 3-4 dans les arrêts de jeu. L’histoire retient qu’un triplé de Victor Agali et un ultime coup de pagaie de Marama Vahirua répondent à un doublé d’Adebayor et un pion de Saviola.

“Le football est un sport populaire et, comme le club, il a besoin de telles icônes”.

Jean-Louis

Sa passion pour le général niçois Giuseppe Garibaldi, héros de l’unification italienne au XIXème siècle, le Berger la hurle à toute occasion, au stade comme dans les oreilles de Franck Ribéry sur la pelouse de Tignes, lorsqu’il y rejoint les Bleus en stage peu avant la Coupe du monde 2010. Parfois, il quittait même ses Alpes pour d’autres massifs voisins, comme s’en souvient Jean-Louis, en un lieu apprécié des amateurs de cyclisme : « Je l’ai croisé par le plus pur hasard au col de Peyresourde, dans les Pyrénées, à l’été 2008. Nous l’appelions alors Garibaldi ! Ses divers exploits ont consolidé la réputation du personnage ».

Des frasques et un caractère fantasque qui ne font pas qu’amuser ou émouvoir. Comme durant ce soir de mars 2019 où, bravant une interdiction préfectorale, le Berger rejoignait le Vélodrome pour y soutenir son club de toujours. Ce n’est pas au stade, mais à l’hôpital de la Timone qu’il passa la soirée en internement. L’histoire se termina bien puisqu’il fut finalement accueilli à Avignon par l’homme de terrain de Canal +, Laurent Paganelli, lié d’amitié avec Paul Capietto depuis de longues saisons.

Lui qui entretenait le mystère sur sa vie et notamment son âge s’était néanmoins vu offrir des mains de Jean-Pierre Rivère un maillot floqué pour lui lors de la réception du SC Bastia, un soir de novembre 2016 marquant son soixante-dixième anniversaire. C’est donc à soixante-treize ans qu’il aura cessé de donner de la voix pour son club de toujours.

Les 70 ans du Berger
Le Berger fête ses soixante-dix ans par une baïetta (bise) à Jean-Pierre Rivère et un maillot à son nom. © OGC Nice

Celui qui vivait dans des conditions modestes s’était refroidi un soir de décembre 2019 alors que l’hiver gagnait en rigueur dans la Haute-Vésubie, et même accueilli par un ami, il ne parvint pas à se remettre en selle. Le club comme les joueurs du Gym n’avaient pas manqué leur hommage par une victoire 3-0 face au Toulouse FC lors du match à domicile suivant son trépas, le premier sans lui depuis de longues saisons.

Une disparition qui avait aussi bien émue les supporters du club, comme l’illustre l’édition #3 de la revue Dissata, que la France du football. Composée notamment des objets qui faisaient sa singularité, comme son vélo et ses skis, une véritable chapelle ardente avait été montée à proximité de la porte F de la bien-nommée tribune Garibaldi où il avait ses habitudes. Désormais, un dessin à son effigie réalisé par Faro, dessinateur entre autres pour L’Equipe et France Football, trône à l’angle de cette même tribune et observe gaiement l’envol de Mèfi comme à chaque match des Aiglons à domicile.

De Mèfi au Berger, ces mascottes sont progressivement devenues de véritables attractions, au stade comme en dehors. Si elles entretiennent la singularité de l’OGC Nice dans ce domaine, elles contribuent à faire connaitre l’identité niçoise bien au-delà des frontières du Comté historique et permettent, à leur manière, d’entrevoir le football autrement.

Thibaut Keutchayan

Crédits image de couverture : OGC Nice médias

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