Fabien Lévêque avant PSG/ASSE. [@FabLeveque/Twitter]
Fabien Lévêque avant PSG/ASSE. [@FabLeveque/Twitter]
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Fabien Lévêque : « Je crains qu’il y ait une certaine appréhension à retourner dans les stades »

Il a été le premier, après de longs mois d’interruption, à retrouver son poste de commentateur. Observateur privilégié des trois finales de coupes nationales, masculines et féminine, il nous livre ses impressions et son regard sur la nouvelle saison.


Dans une interview donnée à Ouest France le 24 juillet, vous confiiez votre excitation à l’idée d’enfin pouvoir retrouver l’ambiance d’un stade de football. Après ces trois finales commentées, quel est votre ressenti ?

Quand le coup de sifflet final a retenti, que la soirée s’est arrêtée, c’était un drôle de sentiment. Quand on a vu le Paris Saint-Germain soulever les deux trophées, qu’il n’y avait pas de communion avec le public, comme on a l’habitude de le voir tous les ans avec les joueurs qui vont devant le virage communier avec les supporters, il y avait une sensation de grand vide. Tout s’arrête un peu brutalement après tout ça. Il manque un ingrédient en quelque sorte. C’était vraiment deux drôles de soirées. Il manquait vraiment une saveur dans cette soirée. L’essence même du foot, c’est qu’il soit populaire. Et quand il n’y a pas cet aspect-là, ça n’a pas la même valeur. Le produit est complètement dénaturé. C’était une drôle de sensation.

C’était peut-être un peu différent pour la finale de la coupe de France féminine, qui se disputait dans un plus petit stade ?

C’est vrai qu’au stade de France, il y avait un sentiment de grand vide. Même pas 5 000 personnes dans un stade de 80 000, c’est comme s’il n’y avait quasiment personne. À l’Abbé Deschamps, c’était un peu différent effectivement. On avait un sentiment de présence un peu plus important. Ca changeait un petit peu la donne mais on est encore loin de retrouver un cadre normal, enthousiasmant. Il va falloir beaucoup de temps pour qu’on retrouve une vraie ambiance populaire dans les stades en France. Alors après, quand on commente le match, on a tendance un petit peu à oublier parce qu’on se concentre essentiellement sur ce qu’il se passe sur le terrain. Je n’ai pas ressenti le manque pendant que je commentais. C’est plutôt avant et après. Quand le match est commencé, quand les vingt-deux acteurs sont sur le terrain, on se concentre sur ce qu’il se passe sur la pelouse, sur le jeu. J’ai réussi un petit peu à occulter l’absence de spectateurs.

La finale de la coupe de France, remportée par le PSG dans un stade de France à 95% vide. [LVDN/AFP]

Mais c’est quand les lumières s’éteignent qu’on se rend compte qu’il a manqué quelque chose d’énorme dans le spectacle qu’on a proposé. Alors oui, sur les matchs qu’on a pu voir avant la reprise du football en France, que ce soit en Angleterre, en Allemagne, il y a les chants de supporters qui viennent un peu combler le vide à l’antenne. Mais moi, je n’ai pris aucun plaisir à regarder un match de Premier League ou de Bundesliga à huis-clos. Je pense que ça va prendre encore un petit peu de temps pour que les gens retrouvent un petit peu d’appétence à regarder du football à la télévision.

Vous expliquiez à l’instant n’avoir pris aucun plaisir à regarder les matchs des autres championnats européens. Pensez-vous que la décision prise par les instances du football français de mettre fin à la saison était la bonne ?

C’est compliqué parce que je pense qu’au moment où ces décisions ont été prises, la majorité des gens en France étaient plutôt d’accord pour l’arrêt du championnat. À cet instant T en tout cas, je ne pense pas que cette décision était contestable. D’ailleurs, j’ai discuté avec beaucoup de joueurs du championnat : ils voulaient arrêter. Très très peu se sont exprimés, mais la majorité de ceux avec lesquels j’ai échangé était pour l’arrêt du championnat. Ce sont quand même les premiers acteurs. Alors après, évidemment, il y a des enjeux économiques qui sont colossaux. Il y a beaucoup de pertes d’argent pour les clubs avec cette période. C’est vrai que quand on voit les championnats reprendre un à un, on se dit que, peut-être, la décision était un petit peu trop précipitée. Mais on sait très bien que si ces championnats ont repris, c’est pour une seule raison : toucher l’argent des droits TV. Ce n’est pas pour offrir du spectacle au téléspectateur. Je ne pense pas que les joueurs se soient régalés à jouer une dizaine de match à huis-clos. Et je ne pense pas que beaucoup de téléspectateurs aient pris du plaisir. Au début il y a un phénomène de curiosité, évidemment. Mais ça ne dure qu’un certain temps. On sait très bien que la reprise des championnats a été dictée par des raisons économiques, et en aucun cas par des raisons sanitaires. De ce point de vue-là, c’est biaisé. C’est l’argent qui a pris le dessus. Nous, on a opté pour une option raisonnable. La France a fait le choix de la raison. Je ne pense pas que ce soit quelque chose qu’on puisse reprocher a posteriori. C’est facile de dire après coup qu’il ne fallait pas arrêter.

À propos des trois finales que vous avez commentées, vous disiez avoir réussi à vous focaliser sur le jeu. Était-il possible d’entendre les consignes des entraîneurs et est-ce que cela peut apporter quelque chose en plus au commentaire ?

Effectivement, l’atmosphère change complètement. Il n’y a plus les chants de supporters pour couvrir l’ambiance bord de terrain. On peut entendre davantage les échanges entre les joueurs, les consignes des coachs. C’est un paramètre à prendre en compte lors d’une retransmission. On sait qu’on peut laisser jouer davantage les ambiances, et les paroles de chacun sont hyper importantes. D’ailleurs, je trouve que c’est quelque chose qui doit être amené à se développer encore plus, que les ambiances sur les bancs et les échanges entre joueurs soient encore plus présents. Et je regrette toujours que les arbitres ne soient pas équipés d’un micro en permanence. C’est quelque chose qu’on avait pu expérimenter lors des finales de coupe de la Ligue. Les arbitres étaient équipés d’un micro, on les entendait parler aux joueurs et je trouvais que la figure de l’arbitre prenait une autre dimension. Les joueurs ne pouvaient plus se permettre d’être virulents, ils se savaient écoutés donc les paroles étaient forcément davantage contrôlées. Il y avait un respect plus important de la figure arbitrale. C’est valable aussi dans l’autre sens. On sait qu’il y a des arbitres qui sont parfois un petit peu provocateurs et ils se contrôlaient davantage. C’est une chose à laquelle il faudrait revenir, ça fait partie du spectacle. Ça donne une dimension supplémentaire à la retransmission d’un match.

L'entraîneur lyonnais Rudi Garcia lors de la finale de coupe de la Ligue entre le PSG et l'OL. [IconSport]
L’entraîneur lyonnais Rudi Garcia lors de la finale de coupe de la Ligue entre le PSG et l’OL. [IconSport]

Le contact que vous pouvez habituellement avoir avec les joueurs et les joueuses a-t-il été beaucoup plus difficile sur ces finales ?

Absolument. Quand les joueurs arrivent au stade, on va les saluer, on se sert la main, on passe quelques minutes à échanger. C’est pareil avec les staffs. Aujourd’hui, les zones sont complètement balisées, contrôlées, interdites d’accès. On ne peut plus accéder au tunnel des vestiaires. Les échanges sont beaucoup plus compliqués, l’interaction beaucoup plus difficile. Effectivement, ça complique la tâche, la proximité n’est pas la même. Il y a beaucoup plus de distance qu’auparavant. Déjà qu’une barrière s’était installée entre les clubs et les médias. Les clubs avaient tendance à se renfermer sur eux-mêmes, et là ça va être puissance dix. C’est pour des raisons sanitaires, donc on peut le comprendre. Mais ça rend les choses encore plus complexes.

Avec l’impossibilité de filmer le public, y’a-t-il eu des réflexions au sein de la rédaction de France TV sur la manière de rendre le match plus dynamique ? Par exemple, des évolutions sur la manière de filmer ?

Il fallait réduire la sensation de vide dans le stade, d’autant plus au stade de France. Fred Godard, le réalisateur des deux finales, a réfléchi à une réalisation différente. Il fallait privilégier des plans plus serrés, éviter les anneaux du haut qui étaient complètement vides. La façon de filmer change. Un stade de France à 5% de sa capacité, on a l’impression qu’il n’y a personne. Et le vide est terrible. Donc évidemment que ça change énormément la donne. On en a tenu compte dans la préparation des matchs, sur la manière de mettre en scène ces rencontres.

“Je ne pense pas qu’on retrouvera rapidement les affluences qu’on pouvait avoir précédemment.”

Vous évoquiez la distance grandissante entre les clubs et les médias. Quel regard portez-vous plus largement sur l’évolution actuelle du football ? On peut notamment citer la règle des 5 changements : peut-elle dénaturer ce sport ?

Les 5 changements, je pense que c’est une bonne chose. On l’a vu sur les matchs de reprise. Au bout d’une heure, certains joueurs sont carbonisés. C’est du jamais vu. D’habitude, à cette période, ce sont des matchs amicaux où on se met en jambes pour la saison. Là, on a recommencé directement par des matchs à très gros enjeux. La pression n’est pas la même, la préparation n’est pas la même. Donc la règle des 5 changements est plutôt bénéfique. Le fait qu’elle soit prolongée tout au long de la saison, pourquoi pas ? Ça offre d’autres possibilités de coaching, ça ne va pas dénaturer en soi les matchs. La crainte que j’ai, c’est davantage par rapport au fait de renouer le lien avec le public. La jauge des 5 000 spectateurs est maintenue jusqu’au 30 octobre. Je crains qu’il y ait une certaine appréhension à retourner dans les stades. Je ne pense pas que les gens vont retourner très rapidement et massivement dans les stades. Les plus fidèles y retourneront, mais il y a tout une « fan base » qui va disparaître à mon avis. Pour moi, c’est ça qui est le plus inquiétant. Une fois qu’on va revenir sur des jauges normales, je ne pense qu’on retrouvera rapidement les affluences qu’on pouvait avoir précédemment. L’appétence pour le sport est moindre, l’intérêt est ailleurs. Les gens sont moins consommateurs de sport et naturellement, comme on va moins au cinéma ou au restaurant, les gens iront moins au stade. Je pense qu’on va mettre du temps à retrouver vraiment l’atmosphère qu’on a connu précédemment. La grande difficulté pour les clubs, ça va être de re-fidéliser les spectateurs qui venaient au stade : les campagnes d’abonnement sont à l’arrêt, certains clubs demandent des dérogations pour obtenir des jauges plus importantes. C’est extrêmement complexe.

Bordeaux-Nantes, le premier match de la saison de Ligue 1, disputé devant quelques milliers de spectateurs. [RMC Sport]
Bordeaux-Nantes, le premier match de la saison de Ligue 1, disputé devant quelques milliers de spectateurs. [RMC Sport]

Avec la fin de la coupe de la Ligue, n’avez-vous pas de craintes pour l’avenir du football en clair en France ?

C’est une fenêtre en clair en moins pour le grand public, pour le football français. De toute façon, je reste convaincu que c’est l’amateur qui est pénalisé dans cette affaire. Je le vois mal prendre trois abonnements pour suivre une offre complète de football : Ligue 1, Ligue des champions, championnats étrangers. Le grand perdant, c’est l’amateur de football. J’espère que l’offre de Téléfoot et Mediapro fonctionnera mais c’est une offre extrêmement ambitieuse : viser 4 millions d’abonnés à 25€ par mois, c’est très très ambitieux dans un panorama où les gens consomment du sport différemment. Le problème, c’est qu’on a des offres très mouvantes. On s’y perd un peu dans l’offre footballistique à la télévision, et je ne sais pas si tout le monde pourra survivre.

Est-ce que cela ne peut pas pousser France Télévision à se positionner sur d’autres types de compétitions ? On peut penser à La chaîne L’Equipe, qui diffuse notamment certaines coupes nationales étrangères.

France TV n’a pas forcément les fenêtres de tir pour exposer ce type de produits. Aujourd’hui, France TV se positionne plus sur des grands événements premium qui vont rassembler un maximum de personnes. L’idée, c’est d’aller sur les événements populaires comme la coupe de France, le Tournoi des 6 Nations, le Tour de France, Roland Garros, etc… Ce sont des événements avec un certain ADN, qui font partie du panorama du sport français. On n’a pas vocation à aller vers ce type de produits dans l’immédiat.

Pierre-Louis KÄPPELI – @PLKappeli

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