Crédit : Romane Beaudouin
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Euro 2021 : L’Écosse veut croire à son indépendance

C’est un bout d’île de 5 millions d’habitants qui a retrouvé le goût d’une compétition internationale, après vingt-trois ans d’absence. Une nation divisée par une question : « l’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? » mais un peuple plus que jamais réuni derrière une équipe dont le capitaine Andrew Robertson symbolise le renouveau du football écossais. Le XI du chardon veut retrouver du piquant !


Le 14 juin, à Glasgow, l’Écosse donne le coup d’envoi de son Euro à la maison, dans l’antre d’Hampden Park. Le Flower of Scotland résonne dans les travées comme il a retenti partout dans le pays au soir de la qualification obtenue au bout du bout d’un match arraché à la Serbie en novembre 2020. Une victoire due en partie à son gardien David Marshall, auteur de l’arrêt décisif aux tirs au but face à A.Mitrovic et élevé au rang de héros au pays. En match d’ouverture, l’Écosse subit une défaite nette contre la République Tchèque malgré de belles occasions procurées. Elle va maintenant tenter de créer la surprise en déjouant les pronostics face à la Croatie et surtout l’Angleterre. Un match qui n’est pas sans rappeler celui qui oppose la Première Ministre écossaise Nicola Sturgeon au Premier Ministre britannique Boris Johnson sur un sujet qui va bien au-delà du football. Depuis le Brexit, le mouvement pour l’organisation d’un référendum d’indépendance prend de l’ampleur dans le pays. Et les déclarations de Nicola Sturgeon ne diront pas le contraire : « L’Écosse est résolue à suivre une voie légale pour devenir un État indépendant ».

Écosse et Royaume-Uni, passés mêlés et destins déliés.

Si le premier match international de l’histoire moderne du football a vu s’affronter l’Écosse et l’Angleterre en 1872, celui qui oppose ce 18 juin les deux équipes à Wembley revêt une importance particulière. Parmi les favoris du tournoi, les Lions reçoivent l’un des petits Poucet de l’Euro, en la personne de leur voisin écossais. Une affiche que les passionnés de rugby ont l’habitude de regarder mais qui, en matière de football, n’est arrivée qu’à deux reprises en compétition officielle depuis l’entrée dans le nouveau siècle. Si cette rencontre attire autant d’intérêt, c’est bien évidemment parce qu’elle s’inscrit dans un contexte politique notable qui voit depuis une décennie les velléités indépendantistes se renforcer en Écosse. En 1998 déjà, le Scotland Act permettait un transfert de compétences du Parlement britannique vers le Parlement écossais, créé en 1999.

Aujourd’hui, ce désir d’indépendance porte un nom, celui de Nicola Sturgeon. La Première ministre écossaise et dirigeante du Parti national écossais incarne un vent nouveau et a fait de l’indépendance son principal combat pour sa terre natale. Les dernières élections législatives de mai lui ont d’ailleurs donné raison puisque son parti a remporté 64 sièges sur 129 au Parlement écossais. Un résultat qui l’empêche d’un cheveu de disposer de la majorité absolue mais qui, grâce à une large coalition, lui permet de dominer le Parlement écossais. C’est sur ce résultat que Nicola Sturgeon s’appuie pour plaider en faveur de l’organisation d’un nouveau référendum sur la sortie de l’Écosse du Royaume-Uni, estimant que « c’était la volonté du peuple ». Ce peuple divisé sur la question de l’indépendance saura-t-il s’unir au moment de soutenir une équipe qui suscite l’espoir de ses supporters ?

La dernière victoire de l’Écosse contre l’Angleterre remonte au 17 novembre 1999.

Le Old Firm, un derby symbole des divisions dans le pays.

En Scottish Premiership, le championnat de première division, les deux mastodontes du football écossais incarnent cette fracture sur la problématique indépendantiste et se livrent bataille. Les Glasgow Rangers, d’un côté, proche de l’Union Jack, soutiennent historiquement le Royaume-Uni. Il n’y a qu’à jeter un coup d’oeil en tribunes pour observer les « No, thanks you ! » garnir les banderoles des supporters. Pour ne rien arranger, la dureté des restrictions sanitaires imposées par Nicola Sturgeon à l’égard des fans de football n’a fait que renforcer l’opposition des supporters des Rangers au Parti national écossais. De l’autre côté, le Celtic Glasgow « s’est toujours montré anti-establishment et cultive ce soutien aux partisans de l’indépendance » nous explique Loïs Guzukian, spécialiste du football écossais. Les messages politiques sont également très visibles chez ses supporters. En 2014, à quelques jours du premier référendum organisé pour l’indépendance qui avait vu triompher le « NO », les supporters du Celtic avaient brandi des centaines de panneaux « YES ». Ce club est habitué à afficher ses convictions politiques en tribunes comme en témoigne la présence du drapeau palestinien dans les travées du Celtic Park pour soutenir la cause de ce peuple face à Israël.

Si peu voire aucun joueur en activité ne s’exprime sur le sujet, le plus connu des Écossais, Sir Alex Ferguson, a lui exposé son positionnement publiquement en apportant son soutien aux partisans du « NO » à l’indépendance. Il s’oppose ainsi à d’autres célébrités écossaises comme Sean Connery, acteur de James Bond, décédé en novembre dernier, qui portait fièrement sur son bras le tatouage « Scotland Forever » ou encore le tennisman Andy Murray. Les deux clubs historiques de Glasgow sont d’ailleurs représentés dans la sélection qui défend les couleurs écossaises à l’Euro. Les très jeunes mais non moins talentueux Nathan Petterson et David Turnbull, respectivement joueurs des Rangers et du Celtic, honoreront peut-être leur première sélection chez les A contre l’Angleterre. Ils reflètent cette jeune génération écossaise désireuse de tracer un nouvel avenir pour son pays. 

« Une victoire contre l’Angleterre est quasiment équivalente à remporter la Coupe du monde. Battre les Anglais c’est mieux que tout ! »

Loïs Guzukian, spécialiste du football écossais

De l’ombre à la lumière, une grande compétition pour une grande révolution ?

Sur le terrain, la Tartan Army – comprenez l’équipe au Tartan, ce motif que l’on retrouve sur les kilts – incarne cet optimisme. Si dans l’imaginaire collectif, le jeu écossais peut s’apparenter à un style rugueux basé sur des valeurs de combat, l’Histoire rappelle que ce sont bien les Écossais qui ont inventé la passe, leur valant d’être décriés pour un geste considéré alors comme manquant de virilité. En matchs de qualification pour l’Euro, les Marines et Jaunes ont su allier combativité et créativité pour retrouver cette compétition qu’ils n’ont plus disputé depuis 1996. Autant dire une éternité. Sur son chemin se dressent deux équipes finaliste et demi-finaliste du dernier Mondial en Russie. Face à la République Tchèque, quatrième nation du groupe, l’équipe de Steven Clarke était pourtant favorite après ses deux victoires contre la République Tchèque en Ligue des Nations. À présent, L’Écosse a rendez-vous avec son frère ennemi, l’équipe d’Angleterre, qu’elle avait déjà affrontée lors de l’Euro 1996 à Wembley. Coïncidence ou pas, les Écossais voudront prendre leur revanche sur ce match qu’ils avaient perdu 2-0 et qui leur avait coûté, à l’époque, une qualification en quart de finale de la compétition.

Loïs Guzukian le concède avec un peu d’exagération : « Une victoire contre l’Angleterre est quasiment équivalente à remporter la Coupe du monde. Battre les Anglais c’est mieux que tout. Y’a qu’à voir en 2017 quand l’Écosse a accroché les Anglais ! » Cela vous place l’importance d’un match. Cette année-là, la double confrontation en éliminatoires pour la Coupe du monde entre Anglais et Écossais avait tourné à l’avantage des premiers. La Tartan Army s’était inclinée lourdement à Wembley avant d’accrocher le match nul dans un Hampden Park survolté. Maigre consolation acquise et soutenue par des chants sans équivoques : « Stand up if you hate England ». Ce deuxième match de leur Euro sera une attraction dans un contexte qui n’a jamais été aussi favorable à l’indépendance en Écosse. L’enjeu dépasse probablement le simple cadre du sport explique Loïs Guzukian : « Si l’Ecosse arrive à faire aussi bien voire mieux que l’Angleterre, ça sera un petit levier pour jouer sur le coté indépendance. Clairement, ça sera un résultat récupéré par les indépendantistes si l’Ecosse parvient à battre les Anglais », avant de nuancer « Je ne suis pas sûr que les joueurs parlent de l’indépendance entre eux. Les joueurs sont plutôt discrets sur le sujet. » De quoi étonner quand on sait à quel point le sport peut être un formidable instrument de défense de causes nationalistes et indépendantistes.

Quoi qu’il en soit, au moment de se présenter face à l’Angleterre sur la pelouse de Wembley, la Tartan Army devra faire preuve de solidarité et d’unité pour créer la surprise et sortir d’un groupe au sein duquel elle fait figure d’outsider. Et quand résonnera le Flower of Scotland, les paroles finales de l’hymne prendront un sens tout particulier pour une nation qui pourrait bien tourner le chapitre du Royaume-Uni pour écrire la page de l’indépendance : « Cette époque est aujourd’hui révolue et il est bon qu’elle reste du passé. Mais nous pouvons toujours resurgir et être à nouveau la Nation qui tint tête face à eux, l’arrogante armée du prince Édouard, et les renvoyèrent dans leurs foyers pour y réfléchir à deux fois ». Une occasion idéale de démontrer que si la politique écossaise est encore dominée par Londres, le football peut, lui, révéler le potentiel et le talent de ce petit bout d’île.

Hugo Forques
Illustration : Romane Beaudouin

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