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« C’est une erreur pour un recruteur de ne pas regarder en Belgique aujourd’hui »

Au plat pays, le football est, avec le cyclisme, le sport roi. Malgré une sélection nationale au zénith depuis presque une décennie et l’intérêt des scouts de tous les plus grands clubs européens, la Jupiler Pro League demeure un championnat relativement méconnu. Caviar Magazine vous fait monter dans le Thalys, direction la Belgique en compagnie de Swann Borsellino.


Longtemps considérée comme le parent pauvre du football de l’ouest européen, imbriquée entre la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, la Belgique vit actuellement un second âge d’or, qu’elle n’avait plus connu depuis la fin des années 1970 et le milieu des années 1980. Sa plus belle vitrine : une équipe nationale composée de stars mettant à contribution leurs talents au profit d’un jeu léché. Avec des résultats, en témoignent la troisième place au Mondial 2018 et la qualification pour le Final 4 de la Ligue des Nations. De quoi faire grimper la cote des Diables Rouges sur le marché des transferts.

Une première vague a eu lieu entre la fin des années 2000 et le début des années 2010 avec les départs de Kevin De Bruyne, Thibaut Courtois et Romelu Lukaku vers Chelsea, Christian Benteke à Aston Villa ou encore Michel Batshuayi à l’OM. D’autres ont effectué leur formation à l’étranger, à l’instar des frères Hazard et Divock Origi, en passant par la case Lille et Lens, ou Jan Vertonghen, Toby Alderweireld et Dries Mertens par l’Ajax et le PSV. La nuance actuelle étant que cet engouement s’est véritablement accéléré, non seulement pour les joueurs belges, mais aussi pour les étrangers évoluant dans le championnat local.

Pour Swann Borsellino, journaliste à So Foot et chroniqueur à la RTBF, cette situation est « inhérente au football actuel, de plus en plus observé, où il y a de plus en plus de statistiques, de scouts, d’observateurs. C’est la course à la bonne idée dans un marché hyper concurrentiel. Et le championnat belge est forcément plus scruté qu’il y a 10 ans de cela ».

Romelu Lukaku, l’école Anderlecht, et Kevin De Bruyne, l’école Genk.

Une économie dépendante de la vente à emporter

Étant donné les limites démographiques de la Belgique – 11,46 millions d’habitants –, les clubs nationaux ne disposent pas de la même manne financière que celle de leurs voisins, en termes de billetterie comme de droits télévisuels. Le modèle économique du trading de joueurs est donc devenu la norme pour remédier au déficit structurel des clubs de première division. Ainsi, en 2018, près de la moitié des revenus du championnat provenait des transferts vers l’étranger. Les clubs se retrouvent dans l’obligation de former leurs joueurs et de développer des cellules de recrutements dans de plus petits championnats, histoire de trouver la perle rare dont la vente générera des bénéfices quelques années plus tard.

Swann Borsellino explique qu’il y a une véritable « remise sur le devant de la scène de la formation avec le Covid. C’est devenu une obligation. Genk est un club formateur de tradition, mais d’autres réinvestissent là-dedans. À Anderlecht, Vincent Kompany a dit qu’il allait remettre le centre de formation au cœur du club. Et c’est pour ça que beaucoup de supporters n’ont pas compris le départ de Doku vers Rennes ».

Formé à Anderlecht, où il a débuté et terminé sa carrière de joueur, Vincent Kompany est désormais sur le banc des Mauves.

C’est aussi dans cette logique de trading que de nombreux joueurs provenant d’Afrique, d’Europe du Nord et de l’Est ou encore du Japon essaiment les terrains belges. « En Belgique ou aux Pays-Bas, les recruteurs regardent beaucoup le football scandinave. C’est un circuit que l’on n’explore pas trop en France. Et c’est là-bas que les Belges recrutent de bonnes trouvailles comme Sander Berge ou Mæhle mais aussi des Africains qui jouent en Suède ou en Norvège », comme ce fut le cas avec Krépin Diatta de Bruges, indique le journaliste. À l’instar de « l’Allemagne, il y a pas mal de bons joueurs Japonais qui jouent en Belgique, comme Ito à Genk, Morioka à Charleroi, Musashi Suzuki à Beershot ou Yuma Suzuki à Saint-Trond, qui a d’ailleurs été racheté par des Japonais ».

Toutefois, tous les clubs belges ne fonctionnent pas de la sorte. Seuls les plus performants d’entre eux, Anderlecht, Genk, La Gantoise ou encore le Club Bruges, investissent dans un centre de formation de haut niveau ou engagent des scouts. Dans une vidéo du 5 mai 2020, le journaliste Romain Molina soulignait que près de la moitié des clubs de D1 ne disposeraient pas de recruteurs. Les transferts seraient principalement réalisés par suggestions d’agents. Agents sur lesquels bon nombre de clubs se reposeraient entièrement étant donné leur situation économique difficile.

Le paradis des magouilles

Le championnat belge est aujourd’hui connu comme l’eldorado des hommes d’affaires voulant investir – ou plutôt spéculer – dans le football professionnel. En démontrent les innombrables rachats de clubs par des investisseurs étrangers, riches industriels comme agents, notamment en deuxième division. Romain Molina situe la principale raison de cet attrait dans le fait que nombre de clubs belges sont criblés de dettes, et donc peuvent être achetés à bas coût. Autre raison : la faible réglementation qui facilite largement le trading de joueurs et l’augmentation des commissions d’agents. D’une part, très peu de contrôle sont opérés par les instances. D’autre part, seuls 8 joueurs formés localement sont nécessaires aux clubs professionnels pour pouvoir participer au championnat.

Udi Shochatovitch, président de Lommel, a même déclaré dans une interview pour Sport Foot Magazine que la Belgique était le paradis pour le business en raison de cette absence de règles. D’autres se sont immiscés dans l’engrenage, comme le célèbre Pini Zahavi, qui fut un temps propriétaire de Mouscron. Raison pour laquelle les dirigeants se reposent énormément sur des réseaux d’agents, qui font la pluie et le beau temps au plat pays.  

La mainmise des hommes d’affaires franco-iraniens Mogi et Mehdi Bayat sur le football professionnel belge illustre parfaitement ce modèle. Le premier est agent de joueurs influent et ancien directeur général du Sporting de Charleroi. Dernièrement, il a aidé le Standard de Liège, en difficulté financière, en facilitant la vente de certains joueurs via son réseau, Renaud Emond au FC Nantes par exemple. Il a également retardé le transfert de Jonathan David à Lille pour une question de commission qu’il devait toucher. Le second travaille actuellement en tant qu’administrateur-délégué du club carolorégien mais il est surtout devenu membre du conseil d’administration de la Pro League en 2016 et président de la fédération belge – la Royal Belgian Football Association – depuis 2019. Aucun conflit d’intérêt…

Mehdi Bayat debout à gauche, et Mogi Bayat, debout à droite, durant un match entre Standard de Liège et Charleroi.

Une terre de foot, nonobstant

L’essence du football belge réside dans la formation de jeunes talents et la valorisation d’un jeu protagoniste, tourné vers l’avant. Souvent méconnue par les amateurs de foot, la Jupiler Pro League regorge pourtant de talents, même s’il est vrai que les clubs belges ont davantage brillé par le passé – le Club Bruges ayant atteint la finale de C1 en 1978 et Anderlecht ayant remporté la Coupe des Coupes en 1976 et 1978, puis la Coupe de l’UEFA en 1983.

« J’ai été la cible de moqueries de la part de mes amis proches, parce que pour eux j’allais suivre un championnat en mousse » nous raconte Swann Borsellino. « Mais pour être honnête, pour ce qui est du niveau, je m’attendais à quelque chose de relativement plus faible que la Ligue 1. Je ne vais pas te dire que je ne suis pas agréablement surpris mais je dirais que c’est un championnat comme les autres dans le sens où tu as ton lot de matchs pourris, de bonnes rencontres de temps en temps, de jeunes joueurs qui sont excitants ».

Le championnat belge n’est pas l’antre des espoirs déchus de footballeurs professionnels, bien au contraire : « Ce que j’ai découvert en premier lieu c’est plus le fait que dans chaque équipe j’ai trouvé un ou deux joueurs que j’aimais bien et que je suis content de suivre tous les week-ends. Au final, le bilan est positif ». Et si la réputation de la Jupiler Pro League n’est pas la meilleure en Europe, certaines équipes sortent du lot. « Si je devais enfoncer une porte ouverte, car on s’en est rendu compte lors de la précédente édition de Ligue des Champions après avoir été très bons contre le PSG et le Real, c’est Bruges. C’est l’équipe la plus complète, celle où il y a les joueurs de plus grand talent aujourd’hui. Je pense à Krépin Diatta, à Vanaken, à Vormer. Et puis c’est aussi un club qui domine car la direction a une manne financière qui n’est pas forcément celle des autres clubs. C’est le seul club qui a affirmé ses ambitions en championnat et en Ligue des Champions en prolongeant certains de leurs joueurs, qui, s’ils avaient été dans d’autres clubs belges seraient partis, comme Jérémy Doku ».

Et les petits clubs affirment également leur identité de jeu. « Il y a une vraie découverte pour moi, c’est OHL, basé à Louvain, une ville très étudiante. L’équipe est entraînée par Marc Brys, qui est un coach très travailleur, très belge dans l’âme. C’est une équipe qui joue quasi uniquement en contre-attaque. C’est un jeu très intéressant à regarder. C’est aussi un club satellite de Leicester, ils ont le même sponsor, King Power », poursuit Swann Borsellino. « Difficile de ne pas parler aussi de Charleroi, qui est un des rares clubs francophones du championnat belge et qui a fait un début de saison canon. Ils ont gagné leurs six premiers matchs [depuis novembre le club connaît une baisse de rythme], avec un entraîneur français qui vient de la région lyonnaise qui s’appelle Karim Belhocine. C’est aussi un club dirigé par un des deux frères Bayat… »

L’exportation de talents

Les performances de l’équipe nationale belge ne sont bien sûr pas à négliger quand on parle du nouvel attrait de la Jupiler Pro League pour les recruteurs. Borsellino souligne ainsi que « la place de n°1 de la Belgique au classement FIFA a été aussi une vitrine. Si un club ne peut pas se payer un Hazard ou un De Bruyne, sa direction peut acheter un joueur moins cher, qui pourrait devenir tout aussi bon. C’est une erreur pour un recruteur de ne pas regarder en Belgique aujourd’hui ».

Cette nouvelle tendance bénéficie autant aux clubs belges qu’aux clubs post-formateurs. L’exemple récent le plus parlant est celui du Nigérian Victor Osimhen, acheté à Charleroi par Lille en août 2019 pour 22 millions d’euros puis revendu cet été à Naples pour près de 81,3 millions d’euros, bonus compris. Une affaire très fructueuse.

Après une saison et 13 buts en Ligue 1, le LOSC a revendu Victor Osimhen pour plus du triple de son prix d’achat.

Tous ces arguments mis bout à bout expliqueraient pourquoi la Belgique attire tant les recruteurs étrangers. Les joueurs passés par la Jupiler Pro League font les beaux jours de nombreuses équipes européennes. C’est notamment le cas en Premier League : Leandro Trossard à Brighton, Praet, Castagne, Tielemans et Ndidi à Leicester, Nakamba et Wesley à Aston Villa, ou encore Dendoncker chez les Wolves et Berge à Sheffield United. En Serie A également, où Saelemaekers est récemment arrivé d’Anderlecht à Milan, Marusic à la Lazio ou Malinovskyi à l’Atalanta. Sans oublier des tauliers du championnat comme Koulibaly, passé par Genk après avoir été formé au FC Metz. Une liste non-exhaustive que nous vous invitons à continuer pour dénicher des diamants aussi brillants que ceux taillés à Anvers.

Guillaume Orveillon


Images : OneFootball/Imago

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