Nouveau drapeau libyen arboré par les membres de la délégation libyenne lors des Jeux panarabes 2011, année du décès de Khadafi. Crédit: Getty Images
Football

CAN 1982 : La Libye (presque) au sommet pour Kadhafi

À l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations 2022, Caviar revient sur l’édition 1982 qui se déroulait en Libye. À l’époque, Mouammar Kadhafi voulait se servir de la compétition pour promouvoir son influence politique. Un pari presque réussi.  

Année 1982, la Libye organise et participe pour la 1ère fois de son histoire à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). Derrière ce fait inédit se cache un homme pas tout à fait inconnu : Mouammar Kadhafi. Leader autoritaire, il a pris le pouvoir en Libye en 1969 à la suite d’un coup d’État mené par les forces armées libyennes dont il était à la tête.

Le dirigeant libyen va graduellement concentrer tous les pouvoirs autour de sa personne et s’installer comme l’homme fort du pays. Il interdit tout parti politique et façonne un culte autour de sa personne. Kadhafi aura fait des pieds et des mains pour accueillir la CAN de cette année 1982. Pourquoi ? Il veut se servir de la dimension internationale du football et de la visibilité qu’offre la CAN pour faire passer des messages politiques. Le colonel voit son vœu exaucé et obtient la tenue de Coupe d’Afrique des Nations dans son pays. Le 5 mars 1982, jour du début de la compétition, Mouammar Kadhafi entre en scène.

Le ballon rond, arme anti-impérialiste

Le dirigeant prononce un discours très affirmé dans lequel il se montre en leader de l’anti-impérialisme. Il dénonce ainsi la politique française au Tchad et l’impérialisme américain en Afrique. En effet, l’administration Reagan qui se montrait moins tolérante envers l’interventionnisme de Kadhafi en Afrique, avait décrété un boycott de la Libye, accusée de soutenir le terrorisme international. Traduction par les faits : les États-Unis ont interdit les importations de pétrole en provenance en Libye, ainsi que les exportations d’équipements pour le secteur pétrolier. La Libye, dont l’économie repose en grande partie sur l’exploitation de l’or noir, est durement touchée.

Anti-américain, Kadhafi nomme deux stades construits à l’occasion de la CAN d’une façon originale pour exprimer la haine qu’il ressent envers la première puissance mondiale. Ainsi, nous avons le « Stade du 11 Juin », en référence au 11 juin 1970, date à laquelle les forces armées américaines quittent les bases militaires qu’elles occupaient en Libye, et le « Stade du 28 Juin » en référence au retrait des forces armées britanniques de Libye, alliées des américains.

La tenue de la CAN au pays de Kadhafi était aussi pour lui un moyen de promouvoir son Livre Vert et de donner du poids géopolitique à la Libye. Le Livre Vert est un manifeste publié en 1975 par Kadhafi dans lequel il détaille sa vision de la démocratie et de la politique. La mention de la couleur verte se rapporte à l’islam, et Mouammar Kadhafi entendait faire de son livre une alternative de la sunna comme fondement du droit en Libye. Le livre est aujourd’hui banni de Libye.

Pour conclure son discours fustigeant l’impérialisme américain et français, le colonel lâche cette phrase pleine de mépris : « maintenant, bande de stupides, je vous laisse avec votre jeu stupide. […] Oui à l’Afrique ! Non à la Coupe ! ».

La victoire de Libye lors du premier match est impérative après un tel discours. Pour une première participation à la Coupe d’Afrique des Nations, la pression sur les joueurs est énorme.

Un parcours irréprochable

En poule, la Libye fait match nul contre le Ghana et le Cameroun et l’emporte contre la Tunisie, des grandes nations de football en Afrique. Ces bons résultats permettent aux Chevaliers de la Méditerranée d’accéder aux demi-finales. Ils affrontent et battent la Zambie 2 à 1 grâce au doublé du grand espoir libyen Ali Al-Beshari.

La Libye gagne donc son ticket pour la finale. La finale d’une CAN qu’ils disputent pour la première fois de leur histoire. Probablement terrifiés par le Guide de la Révolution, les joueurs font en sorte d’être irréprochables. La finale se dispute à Tripoli le 19 mars 1982 contre le Ghana, leur premier adversaire en poule contre qui ils avaient fait match nul. La cérémonie de clôture sera logiquement assurée par le colonel Kadhafi. Ce dernier espère voir son équipe triompher face aux Black Stars : une victoire en finale de la CAN serait ainsi perçue comme la victoire de son modèle politique.

1-1 au terme du temps réglementaire. Le destin de Kadhafi va se jouer sur des tirs aux buts. Après une interminable et éprouvante séance, le huitième tireur Zeyiu rate son pénalty, permettant au Ghana de l’emporter. Le rêve de victoire politico-sportive de Kadhafi s’effondre.

Depuis la mort du leader autoritaire et Guide de la Révolution en octobre 2011, la Libye s’enlise dans une situation chaotique. En décembre 2021, les élections présidentielles ont été reportées. Toujours sans leader, le pays souffre et attend un vent de renouveau. La sélection nationale libyenne attend elle aussi de renaître : éliminée dès les qualifications pour l’édition actuelle, les Chevaliers manquent la CAN pour la cinquième fois d’affilée.

Arnaud Fischer

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