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Brigitte Henriques : « Il ne faut pas faire perdre son essence populaire au football »

En visite dans le Grand Est ce jeudi et tout particulièrement au stade Saint-Symphorien, antre du FC Metz, Brigitte Henriques, présidente du Comité national olympique sportif français (CNOSF), a défendu le modèle sportif européen basé sur un équilibre entre le monde amateur et le milieu professionnel. L’ancienne dirigeante de la Fédération française de football a notamment rappelé le danger de la Superligue. Entretien.


Comment avez-vous accueilli l’idée de Superligue fermée avancée par certains des plus grands clubs européens de football ?

Je n’ai pas peur de la Superligue, mais je m’inquiète surtout des conséquences qu’une ligue fermée de la sorte pourrait avoir sur le sport. Rien n’existe aujourd’hui juridiquement pour assurer la libération des joueurs pour les matchs avec leurs sélections. Les championnats nationaux souffriraient également d’un net désintérêt qui toucherait ensuite la pyramide des compétitions. Je ne suis pas totalement opposée aux autres modèles, aussi bien anglais qu’américain – avec les ligues fermées type NBA ou NFL – ou scandinave, mais ils sont inapplicables en France. Je reste très attachée à ce modèle français, basé sur des équipes nationales fortes accompagnées de nombreuses équipes aussi bien amatrices que professionnelles. J’aime bien le PSG actuel, et je les félicite pour l’explosion de leur business ces dernières années, mais j’appréciais également celui de Mamadou Sakho et des joueurs du centre de formation parisien. Il y a de belles histoires à raconter, mais je pense que le modèle libéral n’est pas applicable actuellement en France. Je ne suis pas contre le sport business, mais on a vu que la rentabilité était le premier élément recherché par cette Superligue. Les supporters l’ont d’ailleurs compris, se mobilisant dans le monde entier pour protester. Il ne faut pas faire perdre son essence populaire au football.

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On sait que le rôle des bénévoles est majeur dans les clubs et fédérations. Comment les conserver et en attirer de nouveaux ?

C’est l’un des sujets majeurs, et je l’ai évoqué face aux candidats à l’élection présidentielle récemment. Nous sommes obligés d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Beaucoup de bénévoles ont stoppé leur engagement pendant le confinement et n’ont pas repris depuis. Un statut précis définissant le rôle des bénévoles peut toujours se faire et nous le portons. C’est possible, j’y crois. Le bénévolat évolue : il faut réussir à conserver les seniors impliqués et aussi réussir à attirer les jeunes souhaitant s’engager sur des périodes courtes mais de manière très intense. Pour ce faire, nous allons créer l’Académie Paris 2024, qui formera pour les Jeux 45 000 volontaires dont 5000 issus du mouvement sportif. Ensuite, je souhaite qu’elle devienne le centre du bénévolat et de l’arbitrage ensuite. Cela permettrait de mutualiser la formation pour toutes les fédérations et de former des bénévoles dans la durée. On va batailler pour reconnaître ces bénévoles et leurs connaissances.

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L’État souhaite, semble-t-il, favoriser le sport à la carte, donc en dehors des clubs et des infrastructures, sans les habituelles licences. Comment faire concrètement ?

Tout mon engagement repose sur ce point. J’ai déjà travaillé là-dessus en tant que vice-présidente, notamment en poussant pour la réouverture des clubs et la reprise des entraînements en sortie de confinement. Cela a mis du temps, mais nous avons obtenu gain de cause. Aux Jeux de Tokyo, le président de la République a déjeuné avec nous. Je lui ai alors parlé du fait qu’il mentionnait « 3 millions de pratiquants » dans son programme, sans pour autant évoquer les clubs. Il a reçu le message, et la pratique en club a ensuite intégré la campagne de communication du ministère des Sports. Depuis que j’ai été élue, mon rôle est de rappeler que le sport, c’est super, mais encore mieux lorsqu’il est pratiqué en club. Le but est de faciliter les choses pour la prise de licences, l’ouverture des gymnases. Malgré tout, le monde évolue et la « consommation » du sport suit l’idée du « où je veux, quand je veux et sous la forme que je veux ». Il faut l’accepter et réfléchir à des solutions adaptées pour répondre à cette demande. Le modèle des deux entraînements suivis de la compétition le week-end n’est plus applicable à la majorité des pratiquants. Je continuerai à défendre le sport en club, très utile pour notre société, même s’il n’est plus l’unique modèle à présent.

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Une redistribution au monde amateur des droits télévisés générés par les plus grandes compétitions, par exemple les Jeux Olympiques, est-elle possible ?

Déjà, tout dépend de la discipline. Les mécanismes sont différents, et le sujet est notamment très évoqué dans le milieu du football. Des mécanismes sont mis en place pour permettre qu’une partie de ces droits télévisés reviennent aux clubs et à leurs centres de formation. C’est typiquement l’une de nos revendications au sein du modèle européen et l’un des sujets à évoquer lors de la présidence française de l’Union européenne. Cette mécanique devrait être commune à l’ensemble des disciplines, même si les revenus ne sont pas les mêmes. L’exemple du sport féminin, où les inégalités sont encore criantes, prouve qu’il nous reste encore beaucoup à faire. C’est aussi un sujet qui nous tient à cœur au CNOSF, parce que le chantier est important en dépit des efforts de ces dernières années, encore insuffisants.

« Ce n’est peut-être pas un sujet qui va offrir des voix aux candidats, mais je pense qu’il aurait été important de connaître leurs propositions sur le sport. »

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Quel avenir pour les nombreux équipements sportifs disséminés dans toute la France, financés à 80% par des collectivités territoriales aux budgets de plus en plus serrés ? Ne faudra-t-il pas basculer vers un modèle plus axé sur le privé par la suite ?

On a besoin de ces infrastructures utiles pour les collectivités et les clubs. Dans l’héritage de Paris 2024, cela doit être un axe prioritaire. On sait que la plupart des infrastructures sportives datent de 1960. Plus de 500 sont complètement vétustes et condamnées à la fermeture. Avec le CNOSF, nous avons parlé d’un passage du budget de l’État dédié au ministère des Sports de 1 à 1,5 milliard d’euros. Nous aimerions bénéficier de 5 milliards d’euros, mais c’est impossible connaissant la dette publique. Néanmoins, sans budget supplémentaire alloué à la rénovation d’infrastructures, on ne pourra pas léguer l’héritage voulu. Cela doit accompagner cette envie de défendre le sport et de le faire apparaître, partout, et au quotidien.

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De quel œil suivez-vous les débats se multipliant à l’aube de l’élection présidentielle et n’abordant pas ou presque pas le thème du sport ?

Certains programmes allouent une place importante au sport, sans que cela ne lui fasse intégrer les débats médiatiques. Ce serait inapproprié de dire que je suis déçue de cela au vu du contexte de guerre et de sortie de crise sanitaire. Ce n’est peut-être pas un sujet qui va offrir des voix aux candidats, mais je pense qu’il aurait été important de connaître leurs propositions sur le sport malgré tout. À la suite de notre invitation aux douze candidats, seuls Yannick Jadot, Anne Hidalgo et Fabien Roussel se sont déplacés pour nous présenter leurs convictions. On regrette que le sport n’occupe qu’une si faible place lors de cette campagne présidentielle, surtout à deux ans de Jeux Olympiques organisés à Paris. On n’a toujours pas compris que le sport n’est pas une charge mais uniquement un investissement. C’est dommage.

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Quels sont les bienfaits du sport pour la société selon vous ?

Il sert à lutter contre la sédentarité, mais participé également de l’éducation et de la cohésion sociale. Nous souhaitons que chacun puisse pratiquer tout au long de sa scolarité, et ce, même lors des études supérieures. Les entreprises ont également un rôle à jouer sur ce point. C’est un message que nous essayons de partager au quotidien et que nous allons continuer de défendre par la suite.

Propos recueillis par Arthur Verdelet

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