Tactique

AVB, cas d’école de ce que n’est pas le pragmatisme

L’école d’Athènes – Raphaël

Ce soir, l’Olympique de Marseille d’André Villas-Boas se déplace sur la pelouse du stade Raymond Kopa pour y affronter le SCO d’Angers. Pour le dernier match d’une année 2020 particulière, les Phocéens retrouvent donc le terrain sur lequel le mandat d’AVB à la tête du club semble avoir pris un tournant majeur. En effet, le 3 décembre 2019, quelques jours après une victoire convaincante dans le jeu face à Brest au Vélodrome, les Marseillais décident de laisser le ballon aux Angevins. Dès lors incapables de pratiquer leur jeu de transition qu’ils affectionnent tant, les joueurs de Stéphane Moulin s’inclinent 2-0 grâce à des buts sur coups de pieds arrêtés inscrit par Sanson puis Payet. Ce qui fut, à l’époque, salué par beaucoup comme un coup tactique brillant de la part d’AVB se révéla par la suite être pareil au tournant de la rigueur de 1983 : une triste parenthèse ouverte et jamais refermée.


Depuis lors, le jeu de l’OM – qui n’était guère convaincant avant ça à l’exception de quelques matchs (celui face à Montpellier restant le plus abouti au niveau du jeu) – est devenu extrêmement minimaliste. Depuis le début de l’année 2020, les matchs intéressants de l’OM sur le plan du jeu se comptent sur les doigts d’une seule main (sans même atteindre la totalité d’entre eux). Évidemment les effets tant physiques que mentaux du Covid-19 et de ses conséquences pour les joueurs ont un rôle dans cette bouillie de football que proposent les Ciel et Blanc depuis maintenant 12 mois. Celle-ci serait, nous explique-t-on, la preuve du pragmatisme d’AVB puisque les résultats sont présents. Au contraire, nous assistons au travail d’un idéologue de la plus pure espèce.

Quelques éléments introductifs

À de nombreuses reprises ces dernières semaines, AVB s’est emporté à l’encontre de celles et ceux qui critiquaient le jeu de son équipe. De son air satisfait à la fin du match à Strasbourg (sans doute le pire match de l’OM dans le jeu depuis des décennies) à ses multiples sorties sur les fameux « décevants », l’entraineur portugais ne rate jamais une occasion pour souligner ses résultats. Outre le fait – et il faut le prendre en compte si l’on s’intéresse, comme le fait AVB, aux simples résultats – que la deuxième place sur le podium a été acquise à l’issue d’une saison tronquée (nous ne ferons pas du foot fiction ici et nous contenterons simplement de dire que, par définition, bien des choses auraient pu arriver en 10 journées), les fameux résultats ont été honteux en Ligue des Champions sans même parler de l’attitude de l’équipe durant les matchs européens.

Pour défendre son bilan, AVB et ses laudateurs s’empressent de citer les résultats en L1. Les deux matchs en retard rendent la lecture du classement éminemment compliquée mais à l’heure de l’écriture de cet article, l’OM pointe à la 4ème place à 5 points des coleaders et 4 du podium. Pour autant, l’étude des espérances de buts et de points (à prendre bien évidemment avec des pincettes) nous renseignent assez bien sur la manière dont l’OM surperforme actuellement. Mais ces statistiques ne nous en disent pas assez sur le fond, l’OM surperforme-t-il par une plus grande efficacité, par de la chance ou plus probablement en raison d’une combinaison de ces deux éléments ?

Classement avec espérances de buts et de points d’Understat

Le jeu à contre-emploi

Une fois les fondements posés, il est désormais possible d’entrer dans le cœur du sujet, à savoir le prétendu pragmatisme d’André Villas-Boas. Selon le CNRTL, le pragmatisme se définit comme tel : « Comportement, attitude intellectuelle ou politique, étude qui privilégie l’observation des faits par rapport à la théorie ». En ce sens, il nous est expliqué qu’AVB est pragmatique parce qu’il vise l’efficacité, et donc par essence la victoire, sans chercher à tout prix à mettre en place des idées préconçues. Si l’on se concentre sur son cas, il me semble clair à la lecture de cette définition que l’enfant de Porto est tout sauf un pragmatique.

Au vu de l’effectif qu’il possède à l’OM, mettre en place un football de transition avec un bloc relativement bas en phases sans ballon est absurde. Aucun joueur offensif au statut de titulaire n’est assez rapide pour partir dans le dos des défenses et les défenseurs marseillais (à l’exception notable d’Alvaro) ne disposent du profil pour subir les assauts répétés en étant arcboutés sur leur surface. À cet égard, le match à Rennes a fait figure d’exemple paroxystique : alors même que l’équipe s’est retrouvée à 10, le choix de laisser le seul Payet en pointe pour tenter de conserver le ballon fut une erreur manifeste en cela que la présence d’un joueur rapide aurait probablement permis de faire reculer le bloc rennais dans la crainte d’une contre-attaque.

Le jeu de possession, planche de salut de cet OM ?

Samedi dernier, l’OM a concédé un match nul contre le Stade de Reims au Vélodrome. Si les Marseillais sont parvenus à inscrire un très joli but dans sa construction, le match s’est résumé à une sorte d’attaque/défense entre le bloc bas rémois (qui sortait sporadiquement en contres en première période) et une équipe marseillaise disposant du ballon mais ne sachant réellement qu’en faire. Pourtant, la seule voie pour mettre durablement en place un jeu cohérent et le plus à même d’assurer des séries de victoires parait être l’installation d’un jeu de possession. La solution pourrait être un pressing important mais une tactique ne saurait se résumer à cela pour deux raisons principales : la composante physique y est primordiale (et la période actuelle rend la chose plus ardue, on le voit régulièrement) mais surtout, le pressing face à une équipe assumant le bloc bas et les longs ballons ne sert quasiment plus à rien. Le pressing est un élément de la tactique que l’on met en place, il ne peut pas en être la quintessence.

Dès lors, l’OM dispose largement des joueurs pour pratiquer un jeu de possession et de redoublements de passes pour faire craquer les blocs bas adverses. Il ne parait pas usurpé de dire que l’équipe d’AVB dispose en son sein d’un des meilleurs effectifs du championnat pour pratiquer cela. Caleta Car, Alvaro (de manière croissante), Kamara, Gueye, Cuisance, Payet et Benedetto – pour ne citer que ceux qui paraissent les plus évidents – permettraient à l’OM de créer des circuits de passes variés et notamment de mettre en position préférentielle des latéraux ne possédant pas de réelles qualités de centres. Faire reposer sur la seule créativité de Payet ou les fulgurances de Thauvin en L1 l’animation offensive de l’équipe n’est assurément pas viable sur le long terme (et mortifère sur le très court terme en coupe d’Europe comme les résultats en LDC l’ont démontré).

Du pragmatisme dans le football

Le cas de l’OM d’André Villas-Boas nous permet d’élargir la focale à la question du pragmatisme dans le football. Souvent présenté comme l’apanage des entraineurs sans forte philosophie, celui-ci est en réalité bien plus présent dans le groupe de ceux que l’on présente comme des dogmatiques. À l’inverse, les entraineurs présentés comme pragmatiques sont bien souvent les plus dogmatiques. L’argumentaire consistant à séparer les supposés pragmatiques qui souhaiteraient la victoire des dogmatiques qui préféreraient la mise en place de leurs idées à la victoire est une erreur funeste.

Dans le sport de haut niveau, où la compétition règne en maitre, tous, absolument tous, les entraineurs cherchent la victoire. Les prétendus pragmatiques sont, en réalité, bien plus des entraineurs prêts à tout sacrifier sur l’autel de la victoire ; là est sans doute le véritable dogmatisme. Au contraire les entraineurs présentés comme dogmatiques sont souvent ceux qui s’adaptent le plus. S’ils disposent effectivement d’un corpus d’idées établi, à chaque match ils travaillent pour qu’elles soient mises en place du mieux possible – le cas paradigmatique étant Marcelo Bielsa.


Pour revenir, et terminer, sur le cas AVB, les amis d’OMForum avaient réalisé au moment de son arrivée à l’OM un dossier très complet sur son évolution tactique. Son aversion au jeu de possession est consécutive de ses échecs en Premier League et ce qu’il met en place à l’OM actuellement n’est finalement que la suite logique de sa carrière, de son dogmatisme à propos du refus de la possession. Si nous sommes les décevants alors lui est le dogmatique pragmatique (ou l’inverse).

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