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À Naples, la nuit est éternelle

“La raison tonne en son cratère…”. Le Vésuve a rugi. L’éruption a retenti. La lave a coulé jusqu’aux rives du Tibre, ensevelissant les corps des bianconeri, jonchés sur la pelouse de l’Olimpico.


La Vielle Dame n’est plus. Gloire aux parternopei. La Juve est morte ce soir, longue vie au peuple napolitain.

“Un giorno all’improvviso, mi innamorai di te…”

Le thriller s’achève sur une grisante séance de tirs au but. Meret, s’inspirant de son propre aveu de son adversaire du soir, le roi Gigi Buffon, se mue en un mur infranchissable. Dybala en cherche toujours la faille. Le cuir de Danilo aurait quant à lui été aperçu à l’aurore, par des pêcheurs des rives sud de la Campanie.

Mises à part les quelques vibrations dans la voix du commentateur anglais sur les poteaux d’Insigne et Fabian, on reste sur notre faim. 90 minutes de marasme absolu. Et Elmas se permet de foutre en l’air la seule vraie occasion du Napoli, à quelques secondes de la fin du temps additionnel. Quand on supporte les azzurri, mieux vaut ne pas être cardiaque.

Pas de foot mais des émotions à en perdre la raison. Dans un Stadio Olimpico qui sonne creux, aux couleurs d’un drapeau italien presque anachronique, Gennaro Gattuso a su mener ses hommes à la victoire. Plus convainquant que son homologue bianconero, et certainement plus inspiré. A Naples, la nuit est éternelle. Aurelio De Laurentiis, à la tête d’un “royaume où l’impossible est roi”, offre aux orphelins du Vésuve un premier trophée depuis 2014. Et ce dans la pire saison de leur histoire depuis la montée en Serie A, quelques heures seulement après avoir officialisé la prolongation du dieu Belge, Dries Mertens. Incorrigible et indétrônable De Laurentiis.

Sarri, le traître maudit

Aussi titré que Dimitri Payet en Italie, Maurizio Sarri clamait son écœurement face à l’indécence de ses détracteurs avant la rencontre. “Ça commence à m’énerver quand j’entends : “En Italie, il n’a rien gagné”. J’ai réussi huit promotions d’une division à l’autre et je les ai toutes accomplies sur le terrain”. Aucun sacre en terre transalpine pour le Mister et ce ne sont pas ses anciens protégés qui vont s’employer à y remédier.

Trahis par leur idole, les tifosi du Napoli ont maudit le technicien toscan. Il faut dire que notre “fuori classe” préféré était autorisé à quitter la capitale de l’Italie du sud. Chelsea, ce n’était pas une insulte. Et il fut même encouragé à y emmener son chouchou Jorginho. “Longue vie aux Sarrismo !” chantaient les Apaches à l’époque. Et pourtant, l’idylle ne s’est pas prolongée. Plutôt que de revenir en terre natale, Sarri a choisi la Juve. L’ennemi de toujours, celui qu’il prétendait haïr plus que tout.

La trahison était trop grande, trop insupportable. Quand on connaît le sort réservé à Gonzalo Higuain dans la cité partenopea, celui de Maurizio Sarri ne nous étonne guère. Les mannequins pendus à l’effigie de Valbuena paraissent presque dérisoires en comparaison. Une haine viscérale est née d’un amour autrefois passionnel pour un homme qui a révolutionné la conception du jeu à Naples. Que ce soit le Napoli qui sépare encore le Toscan de son premier sacre en Italie est donc à la fois une douce et amère ironie du sort et une jolie plaidoirie en faveur d’une fidélité dépecée.

Alors, celle-ci, nous te la dédicaçons Mister.

David contre Goliath

Le sud de l’Italie, opposé au nord. Le club de la passion contre celui de la démence. Le foot des quartiers défavorisés d’une ville abandonnée par l’Etat, face à l’ogre capitaliste turinois, symbole d’un système dérégulé où l’aliénation règne en maître. L’oxymore est total.

Bien plus qu’un choc qui déchaîne les passions chez les supporters, ce Napoli-Juventus est aujourd’hui l’incarnation de la scission d’une Italie à deux vitesses. Le nord, industrialisé, européanisé, parfaitement intégré à la mondialisation et aux échanges commerciaux, porte-étendard d’une Italie moderne, démocratique et débarrassée de ses vieux démons. Le sud, où règnent criminalité et clientélisme, au cœur populaire et anti-capitaliste, aux racines plus que jamais méditerranéennes.

Hier soir, les Agnelli et autres promoteurs d’un football sans saveur, toujours plus restreint et intimement lié au capital, ont reçu la meilleure des leçons. L’auteur du fameux transfert de la marque “CR7” qui remet la médaille à Mario Rui, symbole de la passion et de l’acharnement, ou à Mertens, dans un contexte où la fidélité se veut une denrée prisée. Comment ne pas sourire devant une telle satyre ?


“L’ironie est une vertu qui détruit” écrivait Camus dans L’Etat de siège. Espérons qu’Andrea Agnelli et sa vision abjecte de notre sport soient balayés par le cours de l’Histoire. Espérons que le football soit pour toujours ce sport populaire, accessible à toutes et tous. Espérons qu’il continue de nous faire rêver comme il nous a transportés hier soir, malgré l’absence de supporters. Espérons que les David soient de tout temps en mesure de s’opposer aux Goliath, à ceux qui bénéficient des maux d’un système corrompu.
Espérons. Ensemble.
Speriamo bene, insieme.

Jules Grange Gastinel

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